vendredi 28 décembre 2012

Mon séjour dans la Vallée du gouffre

Suite et fin de mon carnet de voyage commencé ici.


Jeudi
J’ai décidé de me réfugier chez mes parents, en quarantaine. C’est l’endroit le plus proche où je peux me terrer, et Oli a la gentillesse de m’y amener. Je lui paie l’essence et je le mets sur mon testament — à condition que je ne meure pas endettée. J’ai dormi à peu près trois heures, j’ai peur d’avoir pogné le choléra, j’ai peur que mon chum crève dans une chambre d’hôtel, mais je vais quand même essayer de voir ça comme des vacances, comme une opportunité d’aller voir mes parents et visiter la nature mi-sauvage mi-domptée. Si mon système immunitaire n’assure pas, je pourrai toujours monopoliser une seule des deux salles de bain afin d’éviter de contaminer mes parents. Dans tous les cas, je pourrai avoir la paix, me reposer, rêvasser, écrire dans le solarium avec les chats. Mais j’avais oublié que mes soeurs viennent visiter mes parents durant la longue fin de semaine. Hum. Bon, je vais faire avec.

En route, j’essaie de me détendre. La loi 78 vient d’être adoptée pis ça me donne l’impression dégueuse de vivre maintenant dans un pays hostile, je suis pas chez moi pantoute. J’arrive chez mes parents. Leur tévé HD diffuse les nouvelles de Tévéya. Mon père est content. Il dit que ça va ramasser les crottés. Heille! Ta fille est une crottée! Ça te fait quoi d’apprendre ça? Penses-tu qu’il faut me sacrer en prison?

Ça part mal pour mes plans de relaxer dans le fond des bois.

Mathieu m’a écrit. Il se sent un peu mieux, mais il va dormir une autre nuit à l’hôtel et se rendre à Montréal le lendemain. Il peut pas me parler longtemps parce qu'il y a une équipe de tournage de Vision Mondiale dans sa chambre d'hôtel. Aon, mon chum va survivre. Au moins une bonne nouvelle!


Vendredi
Ma soeur (la grosse) arrive avec Elmo, sa chatte gériatrique. Elmo n’aime pas Moufie, la jeune chatte de mes parents, alors elle monte à l’étage pour se cacher dans une chambre. Une marche à la fois. Pas vite. Elmo a le poids de la vie sur ses petites pattes frêles. Mais elle est toffe. À 15 ans, elle a dépassé l’espérance de vie que le vétérinaire lui avait prédit à cause de ses problèmes cardiaques. Elmo continue.

Plus tard, l’autre soeur avec arrive avec mon neveu préféré. Elle est accompagnée de son nouveau chum, qui est aussi l’ex de notre cousine. Ça fait un peu Watatatow, mais c’est pas grave. Yé bin fin, pis au moins on le connait déjà, faque on sait que c’est pas un psychopathe.

Durant le souper, ma famille insiste pour que je reste à table, même si j’ai déjà mangé. Je fais un effort, je vais les rejoindre dans le solarium. Il n’y a pas de chaise pour moi, alors je m’assois sur la balançoire juste à côté. Discussion au sujet d’un membre de la famille qui a un trouble alimentaire. Gros procès. J’aimerais ça leur dire de fermer leur djeule, mais je traîne une fatigue mentale depuis trop longtemps, et une fatigue physique vient de s’ajouter à ça. Je quitte, personne semble s’en apercevoir.

Plus tard, on fait un feu. Discussion sur la hausse. Ah, mais oui, fallait bien que ça arrive. Le nouveau beau-frère est un peu fâché contre les carrés rouges et il déteste Gabriel Nadeau-Dubois, mais il a un peu de misère à m’expliquer pourquoi. En jasant avec, je lui fais remarquer qu’au fond, il est lui aussi en faveur la gratuité scolaire. Comme moi, il pense que tout le monde devrait avoir accès aux études supérieures. Manne, toi aussi tu devrais porter le carré rouge! Par bonheur, la discussion ne vire pas à l’engueulade. Faut dire que mon père n’est pas là pour me poker avec son Richard Martineau. Je suis convaincue qu’il a décidé de l’aimer juste pour me faire chier…

OMG, UN BARBEAU!

Ça, je voulais que ça arrive. Je voulais apprivoiser les hannetons, c’était un de mes buts de l’été — heille, ris pas de mes ambitions —, parce que les hannetons sont les beubittes qui m’ont le plus terrorisée durant mon enfance. En écrivant un texte sur eux, je me suis dit qu’astheure que je les aime et les connais mieux, je veux cesser d’éprouver de la peur et du dégoût quand j’en vois. Je veux être capable de les toucher, de les apprécier. Alors voilà ma chance de tester où j’en suis dans tout ça.

Je l’attrape avec le pot à insectes du Neveu. Pas trop dur comme opération, les hannetons sont assez lents. Ensuite, je le regarde pendant un petit moment. Je l’apprivoise dans ma tête. Je me demande si je le trouve beau. Est-ce qu’il est beau? Mais oui, il est beau! Là, ça devient une évidence. Je le laisse tomber dans ma main. Ses pattes griffues ne m’incommodent pas une crisse de seconde. Je trouve qu’il a une belle tite face de barbeau. Oh! Il a du pouel sul chest! Fanny, regarde! Comme le premier homme de ta vie, George Michael! Je vais l’appeler George. George Barbeau. Ma soeur aussi l'a flatté. Je l'ai libéré parce que je commençais à m'attacher pas mal. Quelques minutes plus tard, un autre hanneton a atterri dans la chevelure de mon autre soeur (la petite). J'ai dit bouge pas, fille, pis je l'ai débarrassée du monstre d'un geste viril mais tendre.

J'ai pus peur de rien.


Samedi

Mon espoir grandit : j’ai toujours pas la gastro. Top shape. Mais ça fait deux jours que j'hallucine une odeur de renvou, comme si elle était restée collée dans mes nasaux. Je pense que j'ai subi un vrai traumatisme olfactif.

Le Neveu pis moi on part donc en expédition! On veut trouver des traces du limbo, cet être mythique dont on entend parler depuis assez longtemps, là, wo, c’t’assez, yé temps qu’on le trouve. On veut des preuves de son existence.

La première fois que notre père a fait mention du limbo, mes soeurs pis moi on est parties à rire. On se disait ça y est, le pére est saoul. On revenait en char du chalet de ma cousine Janie — dans le temps c’était correct de conduire un peu saoul —et il faisait très noir, et comme dans les bois y’a pas de lampadaires, mon père pouvait nous faire croire n’importe quoi. Il a un peu dévié de la route, frôlant le précipice à notre gauche — ma mère, qui a bin gros le vertige, paniquait un peu — pis il a lâché un : « WEUP! Je viens de voir un limbo. » (lol) Que c’est ça? « Un limbo, c’t’un lièvre avec une dent en or. » (gros LOL) Plus tard, j’ai fini par demander à mononc Robin s’il savait c’est quoi un limbo. « Bin c’t’un lièvre ek une dent en or, crisse. Tu connais pas ça?! » C’est là que je me suis dit qu’il fallait enquêter.

Maintenant que Le Neveu a enfin l’âge de prendre part à des activités dangereuses, le timing est bon pour aller se parde dans le bois. On s’équipe : son pot à insectes (d’un coup qu’on verrait des beubittes étranges), une loupe pour analyser les traces minuscules suspectes, des bâtons magiques pour marcher plus vite, des barres granola, de l’eau, un sifflet, un carnet de notes, un iPod pour prendre des photos, pis du poivre de Cayenne (d’un coup que).

On a trouvé : une couleuvre écrapou.

En soirée, on décide d’aller au traditionnel concert de crapauds. Les anoures ont l’habitude de se produire gratuitement à chaque nuit durant quelques semaines, et à chaque représentation, je vis un grand moment. En plus, c’est vraiment tout près de chez mes parents. On marche quelque minutes, on prend un chemin INTERDIT D’ACCÈS - PAS RESPONSABLE DES ACCIDENTS, on descend une côte, pis on s’assoit sur la galerie du minuscule chalet de Madame Voorhees. Pis là, on se trouve à être drette en face d’un touptit lac tranquille. Tranquille en apparence, parce qu’on sait que ça grouille de vie, ce milieu là. J’arrive là avec Le Neveu, ma soeur Fanny et notre mère. Les crapauds interrompent toujours leur show quand des spectateurs arrivent. Il faut s’excuser, puis leur laisser le temps de reprendre le beat. On reste silencieux durant quelques minutes, dans la pénombre. Puis… WOUP, WOUP, WOUP… BRRRRRR. On les entend! Pseudacris crucifer et Bufo americanus  nous font un bon jam. Crisse que c’est beau. On les écoute en silence, admiratifs, presque méditatifs. Pendant un instant, je sens qu’il n’y a que ça qui compte, je suis là, avec eux, ma famille et les anoures, qui sont aussi ma famille, on est entourés d’arbres résineux qui sentent bon et découpent le ciel comme des démons tordus, la lune brille un touptit peu, juste pour dire, pas du tout éblouissante parce qu'on n'est pas à un fucking show de Pink Floyd, le ciel est rosé à l’ouest, presque noir à l’est, pis même les maringouins n’osent pas faire chier. Tout est parfait.


Le reste de la semaine, un peu dans le désordre...

Là j’y vais de mémoire, je me souviens pas exactement dans quel ordre ni quel jour les prochains événements sont arrivés, parce que c’est pas vrai que je tiens un carnet de voyage quand je vais dans la Vallée du Gouffre, pis de toutes manières, t’étais même pas là faque ça crisse eurien.

(J'ai hésité avant d'écrire le mot « événements », parce que je suis pas encore sûre si les prochaines lignes en contiendront réellement.)

Après le souper, je demande au Neveu si ça lui tente d’aller chez Robin à pied, et il accepte sans aucune hésitation. Le Neveu, yé toujours partant pour faire des affaires avec matante Monstre. C’est moué, ça, matante Monstre. J’ai héritée de ce doux nom parce que je fus longtemps l’épouse de Patrick Monstre, et peut-être un peu parce que face au reste du monde, Le Neveu pis moi on s’est toujours pris pour des extraterrestres, des monstres, des créatures d’ailleurs. Patrick a gagné ce titre parce que la première fois qu’il a vu Le Neveu, âgé de deux ans et demi, il avait joué au monstre avec lui. Les enfants avaient eu bin du fonne. Cet événement — oh! en voilà un! — s’est imprégné dans le cerveau tout neuf du Neveu, qui n’a jamais cessé d’utiliser ce surnom.

Se rendre au village à partir de chez mes parents, c’est une grosse demi-heure de marche. On aurait pu se prendre un chocobo pour aller plus vite, mais on n’était pas pressés, on voulait regarder le paysage, jaser, prendre des photos. Ma mère était bin inquiète qu’on marche sul bord de la 381, mais je lui ai dit qu’on serait encore plus prudents que des vieux chats. Ma mère a toujours peur qu’il nous arrive des affaires, on dirait qu’elle a même peur qu’il nous arrive des affaires le fonne. Pour calmer ses inquiétudes, ma maman s’est rendue chez Robin en voiture, avec ma soeur (la grosse), et elles nous attendaient là qu’on est est arrivés à destination. On n’a pas regretté d’avoir pris notre temps, on s’est gâté les oreilles avec des concerts de crapauds, gâté les yeux avec les beaux paysages de montagnes explosées et les ruminants et les équidés et tussortes de belles affaires de la campagne. Pis ça sentait bon. Chez Robin, ça sentait la Export A. Odeur réconfortante que je peux juste associer à Robin. Fanny aime pas ça, elle va sûrement pas vouloir passer la soirée dans l’appart plein de boucane, mais pour l’instant elle veut pas partir, on a trop de fonne à écouter Robin nous expliquer l’importance de se mettre chum avec la police pis les Hell’s. « Comme ça, t’auras jama d’troube. » Ma soeur hurle de rire. Littéralement. Ma soeur crie vraiment comme une dingue quand elle rit. Des fois ça me fait mal aux oreilles. En tout cas, c’est pas grave, parce qu’on a beaucoup trop de pliaisir pour que je me plaigne.

Le lendemain, Le Neveu pis moi on a un peu exploré la rivière. On voulait faire nos coureurs des bois, encore, mais en version riverains. On saute sur les roches — nous autres on sait sur quelles roches marcher pour pas se planter — pis on se pogne après des branches — nous autres on sait à quelles branches s’agripper pour pas qu’elles nous cassent entre les mains — pis on scrute la faune entomologique qui entoure le cour d’eau — on a spotté des dolomèdes, les plus grosses araignées du Québec — pis on essaie de pas sniffer de mouches — ça, je sais pas encore comment l’éviter complètement. Nous autres on est des explorateurs de régions semi-sauvages pis on n’écrase pas les araignées quand on court dans le bois.

J’aime beaucoup ma famille, mais ça me demande pas mal d’énergie de passer des journées entières avec elle. Les parents, les soeurs, les beaux frères, pis même les voisins des fois, ça fait du monde en crisse. C’est avec mon neveu que j’ai la plus belle complicité, et c’est un peu sa présence qui a sauvé ma semaine, autrement je me serais sentie pas mal seule parmi tout ce monde. OK, je me suis évité la gastro de Mathieu. Mais un très long week-end en famille, c’est un peu comme une maladie. Peut-être que je me fais des accroires, mais dans ma tête, la famille est supposée être un milieu confortable comme un pyjama XL. Quand je m’y retrouve, j’ai souvent l’impression d’être une étrangère. J’imagine que c’est l’adolescence qui fait ça. Paraît que ça peut durer longtemps.


Jeudi

Fanny pis moi on remplit son char de nos bagages, et quand tout est prêt, qu’on a fait nos beubailles aux parents, on met Elmo dans sa cage de transport et on retourne vers la grand’ville.

La route était belle, on a vu le soleil se coucher doucement. On a chanté du Wham! pis notre toune de duo, Marcia Baila. Plus on approchait de Montréal, plus je sentais monter l’angoisse. J’étais fatiguée et j’avais hâte d’être chez moi, mais j’avais pas l’impression de me rapprocher de chez moi. Mathieu m’attendait au métro Longueuil. Il s’avait que j’avais peur de croiser des grosses polices dans notre ville pleine de grosses polices. J’avais peur parce que tout le monde se faisait arrêter par la police, tout le monde, tout le temps, même le soundman de Fred Pellerin s’est fait arrêter par la police. Pis moi, j’ai un carré rouge pis une face louche, pis je refuse d’enlever mon carré rouge, et je refuse aussi d’enlever ma face louche. 

Mathieu pis moi on s’est mis en mode invésibe pis on est rentrés au Manoir deluxe sans problèmes. Po était douce et sentait bon comme une botte de foin charlevoisien.

2 commentaires:

François (Maphto) a dit...

Je trouve que ton billet est vraiment bien écrit. T'as un style d'écriture fascinant qui réussi à accrocher mon attention en tant que lecteur, à m'étonner par les comparaisons inusitées et par la formation de mots qui sont très proches du langage parlé. Il y a aussi une sorte d'opposition entre le rêve et l'énergie de l'enfance face à l'angoisse et à la fatigue de la vie adulte. Je trouve que ça donne une profondeur au texte. Finalement, le personnage de "Patrick Monstre", à la fois humain et créature d'ailleurs, intrigue parce qu'on se demande pourquoi et comment il a tant impressionné "Le Neveu" par le jeu du "monstre". Je trouve ce paragraphe réussi, puisqu'il me fait un peu rire. Bref, je trouve que ton écriture joue beaucoup avec l'angoisse et l'étrangeté, ce qui la rend fascinante et dynamique tout en évitant d'être trop "sombre" grâce à la présence d'éléments amusants et surprenants.

Lora Zepam a dit...

Wow, merci pour ton commentaire! Pas juste parce que c'est flatteur, mais aussi parce que je trouve ça intéressant d'avoir la perception d'un lecteur. Et aussi parce que ça confirme une chose : le blogue me donne une liberté d'écriture que je me permettrais probablement pas autrement. Ça fait partie des choses que j'aime de mon époque. :)