dimanche 27 mai 2012

Keukeukess tu fais? dirait Fredoune


Je suis obsédée par ça, tellement que j’arrive pus à écrire mes gnéseries habituelles, je pense moins à mes bebittes, autant celles qui grouillent que celles dans ma tête, et là je me dis wo wo, ça va faire.

Ça fait des semaines que j’ai peur, que je m’inquiète. J’ai peur des arrestations, j’ai peur de la brutalité policière, j’ai peur de la police, j’ai peur qu’on fasse mal à mes amis, à n’importe qui, j’ai peur que quelqu’un meurt. J'te dis, l’instant où j’apprends que ce conflit a fait un mort, je pleure comme un enfant perdu aux Galeries de la Capitale. 

C’est sûr.

Mais ce soir, la peur fait place à l’espoir. Je viens d’entendre une deuxième manif-fanfare passer près de chez moi, et ça m’a émue. Je les trouve braves, persévérants, idéalistes (oui, c’est une qualité), inspirants, beaux. Je les aime. Je NOUS aime.

C'est pour ça que ce soir, je me sens légère, confiante, heureuse, et je me fous des brutes qui ont hâte qu’on rentre dans l’tas, de ceux qui bandent libéral, de ceux qui trouvent qu’on les empêche de dormir avec nos casseroles, de mon père qui me dit que la loi va tasser les crottés.

Pis CRISSE CHU BIN, enfin chenous. Je me sens chez moi, je pense que je peux maintenant le dire. Même si je vis un peu avec les voisins, même si Jocelyne fait jouer fort une toune de Claude Dubois en duo avec Céline Dion, même si les evil pyrales du Yâwbe de l’enfer occupent l’espace plus que moi, même si j’ai pas encore de meubles et que je sais pas trop où mes amis vont s’assoir quand je pendrai la crémaillère.


L'oie 78 gravée dans ma plaque à biscuits. Aujourd'hui on tapochait fort et magnifiquement.

Crisse chu bin, chez moi, dans mon petit univers, avec Po roulé en boule à mes côtés. Mais surtout, j’ai confiance qu’on va bientôt vivre dans un monde meilleur.


Bonne nuit, dors bien, rêve doux,

Lora Zepam sur un high xx

jeudi 24 mai 2012

Juste pour te dire que...

... en fin de semaine passée, j'ai touché à des barbeaux pour la première fois de ma vie et j'ai même pas eu peur.

Si tu sais pas pour kessé faire que je te dis ça, tu pourras comprendre en lisant ma plus récente chronique sur les arthropodes.

Un beau hanneton dessiné par Darnziak

Anecdote : Pendant que j'écrivais sur les hannetons, Darnziak en dessinait juste à côté de moi. Quand je lui ai dit de mettre la musique qu'il voulait, il a choisi Thriller sans même savoir qu'il y a deux références à ça dans mon texte. C'EST DONC BIN CAPOTÉ.

mercredi 16 mai 2012

Si Dieu existe, Meulie > Dieu

J’en suis à mon quatrième jour dans mon nouvel appart. J’en reviens pas encore que tout cet espace m’appartienne, ou plutôt nous appartienne, car une bonne partie du fonne d’emménager dans un meilleur appart provient du fait que Po aussi va en bénéficier. Ça fait dix mois que je me sens mal de l’enfermer dans un studio ridicule, sans balcon, sans cour arrière. Dans notre nouvelle maison, que j’ai baptisé le Manoir deluxe, Po va pouvoir galoper dans plusieurs pièces —dont un couloir— et sneaker par les fenêtres et, attention, aller jouer dehors. On vit dans un rez-de-chaussée avec accès à une petite ruelle. Ça manque un peu de verdure, alors je compte bien faire pousser du gazon pour Po et des fleurs pour les abeilles, les guêpes et compagnie.

OK, l’intérieur est beau beau beau. Plein de belles portes en bois avec des moulurations, un plancher de bois franc qui craque à cause des os de squelettes d’enfants qui sont cachés en tsour, un placard-sauna si grand que Mathieu m’a dit que je devrais le louer à Maxym Ringuette, plein d’autres placards, tellement de placards que j’ose pas jouer à la cachette, de peur de jamais me faire trouver et mourir et sécher en petite boule derrière les vêtements d’hiver, et des portes, des portes, je pensais en avoir onze mais j’en ai douze. La maison est centenaire, les fantômes sont vieux. (OK, je dois dire que je suis en train de lire la nouvelle édition de Chant pour enfants mortsfaque.) Le plafond est si haut que je songe à m’acheter des meubles hauts. Manger assis à un table de six pieds. Avoir le vertige dans ma chaise berçante-girafe. Jouer au Nintendo sans toucher au sol.

J’ai laissé la plus grande chambre à Po, mais elle dort toujours avec moi. Je l’écoute ronfler doucement et je la trouve adorabe. 

Pourquoi j’ai tout ça, moi? Et pour le même prix que mon studio de marde? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ce luxe? Peut-être parce que :
a) J’ai de la chance dans vie
b) Dieu m’aime
c) J’ai la chance et le bonheur d’être amie avec Meulie Vhamelli

Ma réponse à moi : c, et un peu a, quand même. 

Sur l’emballage de ma pastille Halls, c’est écrit : « Allez-y. » Ouimadame!

« Rien n’est plus pareil maintenant. »

J’ai pensé à m’exiler chez mes parents, passer deux semaines à 366 km de Montréal, m’enfoncer la tête dans le sable dans la paisible Vallée du gouffre, prendre un gros break mental. Remplacer le bruit de la foule, des hélicoptères, des sirènes de police et des détonations par le chant des geais bleus, des mésanges, des bruants à poitrine blanche et des chèvres (oui oui, le chant des chèvres). Mais si je fais ça, ça va être juste pire. Mes parents écoutent LCN et Tévéya.

Impossible de m’en sortir.

Au moins, je suis un peu rassurée parce que je viens de parler avec ma mère et elle est toujours convaincue qu’on est gouverné par un gros caca —ce ne sont pas ses mots à elle, mais je me fais croire que oui, pour le fonne.


Le soir du 25 avril, j’étais chez moi avec Mathieu et on regardait CUTV qui couvrait en direct la première manifestation de soir. La foule, qui avait toutes les raisons d’être en colère, marchait joyeusement en scandant des slogans parfois farfelus (y faut bin!). Je regardais ça de loin, un peu sur les nerfs. Si la police se met à varger dans le tas, je ferme ça. J’ai eu ma dose de violence, d’injustice et de frustrations pour un bon boutte. Mathieu me dit nenon, regarde, ça se passe bien. Tout va bien. On se promène dans la foule avec CUTV. Tout va bien. Le journaliste caméraman se fait poivrer par la police. Tout bascule. On n’a pas eu le temps de comprendre pourquoi que quèssé de comment ça de quoisque à cause que le chaos est déjà installé. Je ferme CUTV. Mathieu met ses écouteurs pour suivre ça de son bord, sur son portable. Un peu malgré moi, je continue de suivre l’action sur Facebook. J’ai des amis qui se trouvent là, ça me fait un peu capoter. J’essaie de ne pas faire une liste mentale de mes amis qui risquent d’être poivrés, gazés, matraqués, arrêtés, et quoi encore.

À partir de son cellulaire, Sébastien écrit sur Facebook  : « Il ont déclaré la manif illégale mais personne a entendu. En fait ils ont attendu qu'on soit dans le secteur Ste-Catherine très quadrillé et les chiens sont arrivés en même temps à toutes les rues transversales pour nous repousser vers Sherbrooke. On se faisait insulter, pousser dessus malgré des centaines de mains en l’air, les doigts en V. Je suis avec Bertrand Laverdure. On est OK. Je m'arrête. Je pleure. »

Si j’avais été seule à ce moment-là, j’aurais sûrement pleuré moi aussi. Mais j’ai travaillé fort pour garder mon sang froid. Boys don’t cry.

Je texte Sébastien pour lui dire de faire attention, que je suis inquiète. Comme une maman. Ça fait des semaines que je crains un mort, et je me dis que ça pourrait totalement arriver à ce moment-là, et que ça pourrait être Sébastien, pourquoi pas? Un coup de matraque à la tête, juste un peu trop fort. Un éclat de grenade assourdissante. Une balle de plastique. Son garçon orphelin. OK, wo les nerfs, Sophy. C’est une maladie mentale, ton affaire. Ouin. Mon cerveau détraqué me fait craindre toutes sortes de catastrophes, mais ma raison lui dit que certaines sont quand même plausibles. Mon cerveau détraqué sait pas trop quoi répondre à ça. Hum. 300 millions de minutes plus tard, Sébastien me répond que Bertrand et lui quittent la manif. Ouf. Je souhaite fort que mes amis soient tous corrects, je souhaite que tout le monde soit correct. Même si je sais que tout le monde n’est pas correct. 

Plus tard, Sébastien m’écrit que son expérience a encore plus solidifié ses convictions : « J’ai vu de proche ce que bien des gens savent. Mais je le sais intimement maintenant. C'est la première fois de ma vie où mon pays me fait violence.

Je ne sais tellement pas comment raconter ça à mon garçon. 

Rien n'est plus pareil maintenant. 

Mais ma conviction que nous avons raison est au plus fort. Nous vivons une époque historique. J'étais du côté de la légitimité. Nous étions nombreux et dignes. »




Po est couchée en renard, le museau derrière la queue. Complètement détendue. On déménage dans quelques jours. Je sais que ça va la stresser, mais j’ose croire qu’elle est un peu habituée aux déménagements. Ça va être la onzième maison de Po. Elle peut en prendre, des perturbations.

Je prends un Gravol pour tuer ma nausée et m’endormir solide.