mardi 20 novembre 2012

La mort de Minoune et autres histoires de chattes


Lora Zepam et les chattes de sa vie, par Clara B.

Avant ma naissance, mes parents ont eu une chatte siamoise. La Minoune, qu’elle s’appelait. Mon père l’aimait bin gros, pis elle est morte dans ses bras. Ça l’a tant bouleversé qu’il n’a pas pu dormir de la nuit. Quand ma mère me racontait ça, elle avait l’air de trouver ça un peu exagéré de la part de mon père, de trouver ça drôle qu’il soit emo. J’ai jamais eu l’impression que ma mère s’attachait beaucoup à nos animaux. Elle les flattait peu, sauf quand ils étaient très jeunes et irrésistibles avec leur face de Cute Overload. Mon père, lui, il est du genre à travailler debout à sa table à dessin parce que mon chat est couché sur sa chaise. On dirait bin que mon père, c’est mon père, han.

Un peu avant que mes parents ne s’installent définitivement dans Charlevoix, mon papa avait trouvé un emploi là-bas. Il passait la semaine au chalet et revenait nous voir à Québec-Vile durant la fin de semaine. Le voisin du chalet a toujours eu des chats pour dératiser sa grange. Il s’y forme une micro colonie de chats — ou plutôt de chattes, les matous ayant tendance à s’exiler pour aller fourrer ailleurs ou à mourir sur la 381 — qui chassent le petit gibier et nous quêtent pour le reste. Je crois que leur espérance de vie se limite à environ quatre ou cinq ans maximum, l’âge à laquelle Améthyste, la maman de Po, est disparue dans la nature. Ma famille et moi avons toujours eu l’habitude d’apprivoiser les chats du voisin et de leur donner des restes de table comestibles pour eux, ce qui inclut les délicieuses entrailles des truites qu’on pêchait à la rivière. Bref, les chats ont toujours préféré chiller autour du chalet que dans leur résidence officielle. Mais cette année-là, quand mon papa vivait au chalet presque à temps plein, il y avait trois nouveaux chatons pour remplacer La Marbrée, qui avait disparue un peu après Améthyste. Je dis trois mais au début ils étaient quatre, sauf que la plus poquée de la gang n’a pas survécu deux jours. J’avais pourtant dit au voisin que la petite tigrée — je l’avais appelée Twiggy — était malade et contagieuse, qu’elle devait être isolée des autres. « Ah, bah non! A doit avoir eu une paille dans l’oeil! » De kessé? Une paille? Pis c’est pour ça qu’elle a du mal à tenir sur ses pattes, qu’elle éternue, morve, pleure? Deux jours plus tard, la chatonne avait disparue — les chats qui meurent dans la nature ne laissent pas souvent de trace — et les trois autres chatons avaient les yeux et le nez pleins de pus. La plus affectée, c’était Moufie, une belle angora bicolore aux yeux verts full eye-liner. Une fois, elle avait tellement de pus dans les yeux qu’elle ne voyait plus où elle s’en allait. Ma soeur (la petite) et moi on s’occupait d’eux du mieux qu’on pouvait, on nettoyait leurs yeux à tous les jours quand on allait au chalet. Je trouvais ça triste, moi. Je pense que je suis trop sensible pour la campagne. Ça m’a toujours traumatisée de voir des animaux souffrir sans pouvoir intervenir.

Il me semble que la vie des chats de ferme est juste un peu plus soft que celle des chats de ruelles : chaque jour est un combat, et l’intervention humaine est plutôt rare dans la courte vie de ces petits fauves qui devront se réparer tout seuls en cas de blessure ou maladie. Les chats de ferme, tout comme les animaux de boucherie, sont des choses remplaçables, il ne faut pas s’attacher à eux. On a bien essayé de me rentrer ça dans la tête, rien à faire. Le nombre de fois où j’ai demandé à mes parents qu’on soigne un chat malade. Où j’ai fouillé le frigo pour trouver de la nourriture potable pour les plus maigres de la gang. Mais j’ai jamais pu convaincre personne de faire soigner un chat de ferme par un vétérinaire. On dépense pas d’argent pour ces animaux-là, weyons. Pas pour cette sous-catégorie d’animaux. C’est pour ça que j’étais un peu surprise quand mon père m’a appelée du chalet pour me demander ce qu’il pouvait faire pour Moufie, qui avait l’air vraiment mal en point. Il était prêt à l’emmener chez le vétérinaire, même si ça représentait une dépense un peu folle. Ma mère trouvait que ça n’avait pas d’allure qu’on débourse le peu de cash qu’on avait pour soigner le chat du voisin. « C’est pas à nous autres à payer pour ça, c’est même pas notre chat! » Mon papa, lui, trouvait ça trop triste de la voir souffrante. Je me souviens plus ce qu’on a fini par faire, mais je sais que Moufie a survécu à cet épisode ainsi qu’à quelques autres plus bénins, la rhinotrachéite ne se guérissant jamais complètement. Ce que j’avais retenu de ça, c’est que mon père est probablement plus sensible que ma mère à la souffrance animale, ou alors qu’il est plus enclin à intervenir. Je comprends très bien son insomnie après la mort de sa tendre Minoune.

Cet été, quand j’ai appelé ma mère pour lui dire que Po était hospitalisée et que je pouvais pas assumer les frais immédiatement, elle m’a dit que ça valait peut-être pas la peine de payer pour la faire soigner. Vu son âge, pis vu ma situation financière. J’en revenais pas que ma mère me parle d’euthanasie comme si c’était une option. Po était pas en train de vomir du sang, secouée par des spasmes de possédée. Po avait une cystite, et ça traite, et elle fait de l’hyperthyroïdie, et ça se traite aussi. Je vais pas transformer Po en mort-vivant, je vais pas lui faire subir des chirurgies expérimentales qui coûte 10 000$. Sauf que ma mère s’inquiète pour mes finances. Moi aussi, mais je m’en fais pas mal plus pour ma chatte. Ça fait des années que ma mère n’a pas vu Po, elle sait pas qu’on passe nos journées ensemble, qu’on est pas mal en amour-fusion depuis depuis la mort de Chechou. Elle se doute peut-être pas de l’attachement que j’ai pour ma vieille minoune, que cet attachement s’intensifie toujours plus avec le temps. Mais ma mère est loin d’être insensible. D’abord, elle m’a prêté 500$ pour que je puisse payer ma première facture de vet. Sans me faire sentir cheap. Sans laisser sous-entendre que je pourrai jamais la rembourser de ma vie parce que je suis trop pauvre et irresponsable et pas débrouillarde. Pis ma mère, elle s’inquiétait pas mal quand sa jeune chatte a fait une fugue l’autre jour! Parce que mes parents aussi sont rendus avec une chatte, astheure. Un rejeton de Mini-Po qu’ils ont adopté l’hiver dernier. Elle est née le 11 septembre. Ma mère a noté la date, elle suit attentivement les grossesses de Mini-Po. Leur jeune chatte est bicolore et s’est donc mérité le nom de Moufie II. Une belle minoune hyperactive qui suit mes parents partout, un vrai chat de poche. Moufie II m’a fait réaliser que ma mère est plus protectrice que je ne l’aurais cru. Elle a peur que sa jeune minoune se fasse frapper par un char, attaquer par une bête sauvage, tirer par un chasseur, ou encore qu’elle attrape des vers en mangeant des oiseaux. Maman, tu peux y donner du lousse, tsé. Moufie va pas se faire bouffer par un étchureu.

Ma mère, elle a du coeur. L’autre jour elle m’a appelée pour me dire qu’elle avait pris une décision. « Je va faire opérer Mini-Po. » AON. Mini-Po, mon amour impossible, la chatte sauvage de mon coeur. Ça fait si longtemps que je gosse mes parents pour qu’ils la kidnappent et la fasse opérer. Cette minuscule chatte enchaîne les grossesses sans prendre de break. C’est pas créyabe, tous les chats qui débordent de sa chatte. Et ils deviennent tous plus gros qu’elle, avant même d’être sevrés, parfois. Je disais à mes parents que le voisin, il s’en sacre de Mini-Po, je les encourageais à la prendre en charge. Si elle est stérilisée, elle pourra poursuivre sa vie palpitante de chatte sauvage apprivoisée, mais sans le fardeau de la maternité. Faque là, ma mère essaie de trouver le bon moment pour l’envoyer à la clinique. Dès que ses petits derniers seront sevrés. Faque ma mère va prendre les responsabilités que son voisin millionnaire veut pas assumer. Je l’ai déjà dit, j’ai grandi dans une famille de Barbapapas.



Le 31 octobre, ça a fait trois ans que Chechou est morte. C’était juste un animal, oué. Mais je me souviens parfaitement de la texture de son poil, de ses miaulements en « rwouar » quand elle ronronnait, de sa façon de se crisser violemment par terre pour se rouler quand on la flattait, je me souviens comment elle chassait des proies imaginaires sur le plancher de la cuisine, de ses trips de droyes avec les autres chattes, de sa manie de se coucher sous les draps pour former un petit tas, de ses séances de toilettage passionné avec Po. Et je me souviens que j’avais très mal dormi quand elle est morte à 160 km de moi.

*


La magnifique illustration est de Clara B. Je trippe sur ses dessins, qui sont un parfait mélange de quioute et de morbide, et quand je lui ai demandé si elle aimerait illustrer une de mes histoires de chats — elle aussi c’est une folle aux chats — elle a gentiment accepté et m’a DONNÉ le dessin quand elle est passée me voir à l’Expozine samedi! En plus d’une impression de ce dessin! C’était encore ma fête!  J'étais si émue. Si vous voulez lui acheter des impressions, n’hésitez pas à la contacter, elle est charmante et douce comme des bonbons au caramel.

3 commentaires:

RAINETTE (l'énigmatique) a dit...

c'est bô tes histoires de chats !

RAINETTE (l'énigmatique) a dit...

et pis l'image est super cute aussi hen ! Lora et ses timines. Avec plein de croquettes pi des cookies pour chats :)

Lora Zepam a dit...

Merci Rainette! Je me tanne pas, comme on dit.