mardi 1 décembre 2020

Être un fennec pour toujours

Parmi les rares choses que j’aime encore de Facebook : regarder mes souvenirs du jour. Treize ans déjà que je suis sur ce réseau social, où j’ai écrit et partagé pas mal de gnéseries, alors j’y retrouve bien sûr des moments marquants de ma vie. Ou juste des souvenirs qui me font rire. Chaque jour, à compter de minuit, je vais voir mes nouveaux souvenirs. Je revois mes morts, souvent. Aujourd’hui, un échange avec Vickie. Elle fait allusion à un secret que j’ai oublié. J’en veux à ma mémoire. 

Sur Facebook, Vickie sera un fennec pour toujours. Sa dernière photo de profil, qu’elle a uploadée le 8 janvier 2013, soit quatre mois avant sa mort, est un Pokémon fennec qui crache du feu. Elle a dit : « Je change pu jamais de photo de profil. I’m done. »





Ça m’a donné envie d’aller revoir toutes ses photos de profil. Je lis les commentaires qui les accompagnent. Parfois, Vickie parle avec quelqu’un qui a fermé son compte. Weird monologue. Une morte qui parle avec une personne invisible. 

 

Ses premières photos datent de 2008, à une époque où on ne se connaissait pas encore, notre première rencontre remontant à mars 2011, juste avant le 2e gala de l’Académie de la vie littéraire. Elle avait d’ailleurs utilisé l’affiche du gala en guise de photo de profil. Par la suite, on est devenues amies sur Facebook, et j’ai vu toutes ses photos de profil changer au gré de ses humeurs, de ses découvertes : il y en a des dizaines, certaines que j’avais oubliées, d’autres qui me rappellent plein de choses, quelques-unes que j’ai prises, et une seule sur laquelle j’apparais (« Heille, c’est un extrait de Testament! », avait dit Thieuse en la voyant).

 

J’aime relire mes discussions avec Vickie sur Facebook, et pourtant j’ai jamais relu au complet nos tchats sur Messenger. Lire nos derniers emails me fait brailler. « Chu la queen des punaises de lit », qu’elle dit sur une vidéo gnéseuse envoyée à Mathieu, Erika et moi. Un filtre PhotoBooth lui fait des yeux immenses, elle porte un diadème sur ses cheveux fuchsia fraichement teints. Je venais de refaire mon vert, elle a dit qu’ensemble on était une tulipe.



La carte de fête que je lui ai faite pour ses 24 ans.

 


La dernière photo de profil que tu choisis, c’est celle que tes ami·es vont voir jusqu’à la fin des temps, où jusqu’à ce qu’iels meurent, ou jusqu’à ce que Facebook n’existe plus. Je me demande ce sera quoi, ma dernière photo de profil. Les fennecs sont pour toujours associés à Vickie, ça c’était déjà sûr, mais sur sa photo, elle est un fennec. Pis elle crache du feu.

 

Ce qui n’apparait pas sur Facebook, par contre, c’est qu’après les fennecs, il y a eu les flamants roses. Toutes les patentes de flamants roses attiraient son regard, c’était ses nouvelles paillettes. Dans les semaines précédant sa mort, Vickie voulait que je lui envoie un photomontage de flamants roses par jour. Dans le temps, j’avais Photoshop, ça me prenait 30 secondes pour la mettre en scène avec des flamants. Très gnéseux. Très important. 






La dernière fois que je suis allée la visiter chez elle, elle m’avait dit de faire des cartes postales avec ça pour les vendre à Expozine. C’est un projet qui existe depuis — ça va venir. Elle m’a dit ça juste après que je lui aie donné mes lunettes en forme de cœurs. Je venais d’arriver, on était dans la cuisine avec Pepa, elle a vu mes lunettes — évidemment que je les portais pour elle! —, ses yeux se sont écarquillés, oui oui elle a retrouvé ses yeux de queen des punaises de lit, et elle a pris les lunettes de ma face pour les essayer. « Mais oui, tu peux les garder. » Après sa mort, Martine me les a remises. Je les porte encore.

 

Oui, Vickie est un fennec pour toujours, mais elle est aussi un flamant rose. Chez moi, j’ai des fennecs, des flamants roses et un flamant noir. Les fennecs proviennent tous de Vickie, et le flamant gothique, je l’avais peint en noir pour elle, pour protéger ses yeux. Durant ses derniers jours à l’hôpital, elle nous avait demandé de porter des couleurs plus sobres — du linge sobre, c’est bin la demande la plus surprenante de Vickie — parce que ses yeux ne toléraient plus les couleurs vives. C’est pour ça que je lui avais amené un flamant noir. Ses nouvelles lunettes de Lolita lui ont aussi été utiles.





 

J’avais peint le flamant en noir au parc en face de l’hôpital, où on passait des après-midis entre ami·es, question de rester prêt·es à visiter Vickie si ça lui tentait, si elle en avait l’énergie. C’était en quelque sorte notre salle d’attente, mais en moins glauque. Un parc en mai, c’est beau. Un arbre avec une immense vulve, un monument phallique, découper des pénis littéraires dans une jupe à paillettes avec Catherine et Erika pour faire rire Vickie. Ces petits moments-là m’ont beaucoup aidée, c’est en fait pas des petits moments, mais des gros moments. Et je pourrais pas dire si on restait là 30-45 minutes ou la journée entière. 

 

Mars 2011 à mai 2013, c’est une si brève période, juste deux ans dans ma vie. Vickie occupe pourtant une grosse partie de mes souvenirs. Je sais pas pourquoi j’écris jamais sur Vickie, je pense à elle chaque jour, je rêve à elle régulièrement. Ça m’arrive de moins en moins d’avoir le réflexe de lui écrire. C’est cave, je pense que j’ai peur de mal écrire. Mal écrire pour relater ma visite su Canadian Tire, ça me stresse pas. Mal écrire dans ma demande de bourse, passe encore. Mais mal écrire pour parler de Vickie? La honte! C’est niaiseux. Mais j’ai souvent des réflexes niaiseux.

 

Comme quand on préparait ses funérailles, que tout était en place et que les gens commençaient à arriver : moi, je cherchais Vickie du regard. Qu’est-ce qu’a fait? On l’attend. Ah oui, elle est là, en cendres, dans son urne rose. Ou comme quand j’ai appris sa mort, au téléphone, à peine quelques heures après notre dernière visite, le temps qu’on dorme : j’ôte mon chandail. Vickie est morte, aweille les boules à l’air. C’était ça ma réaction.


Mais je suis pas triste de ça. Je trouve ça drôle, au fond, parce que je sais que c’est des choses qui l’auraient fait rire. En plissant du nez comme une gougoune.




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