Mes parents et Robin venaient d’acheter un lopin charlevoisien longeant une belle rivière peurope dans la nature presque full sauvage. J’avais un an et demi (je pense qu’on peut encore dire 18 mois? C’est bien jusqu’à la maternelle que les parents calculent l’âge de leurs rejetons en mois?) et je passais de longues heures à parler avec mon amie génisse parquée dans un enclos chez le voisin farmer. Faut dire que mes parents étaient trop occupés pour faire de moi une enfant-reine et que mes deux soeurs aînées avaient plus l’âge de jouer avec les voisins. Alors la petite vache devenait la personne la plus intéressante pour passer le temps qui, on le sait, est beaucoup plus long quand on est une larve. Je lui parlais de ma famille et des autres humains de mon existence, je lui racontais plein de choses, des détails sur ma vie, importants ou futiles. Un peu comme je le fais ici, sauf que toi, t’as pas une réconfortante haleine sucrée de foin semi-digéré. Et toi, t’as pas fini par te faire moudre en steak haché au premier automne venu. Ça m’a toujours un peu choquée que les animaux soient remplacés à chaque printemps. Les seuls qui avaient droit au statut permanent étant Prince le poney fringant et les chiennes des voisins, Lassie le colley (eh oui) et Bonnie la plus belle bâtarde du monde, la plus attachante et la plus touchante. J’en reparlerai, de cette chienne de ma vie. Pour les chats, ça ressemblait plus à un visa de travail. Fais ta job de dératisation, mais au moindre écart… bang! Ou crac! Ou sploush! Enfin, y’a tout plein de manières de tuer les chats à la campagne. J’ai passé tous les étés de ma vie au terrain*, et j’ai passé des après-midis complets à observer les chats dans la grange, assise sur un tas de foin sec, à vouloir comprendre leur langage, à vouloir être adoptée dans leur grande famille de chats de ferme. J’étais pas mal fière d’avoir réussi à apprivoiser le plus beau et le plus timide.
À chaque fin d’été, Michel le farmer tuait ses soixante dindes, une à une. Fascinée, je le regardais faire. Accroche la dinde par les pattes. Fourre le couteau dans sa gueule. Coupe la grosse veine. Regarde la dinde battre des ailes en se vidant. Décroche la dinde. Trempe la dinde dans l’eau chaude. Plume la dinde. Vide la dinde. Le sable se noircissait. J’ai déjà participé à l’opération, une fois. Je plumais les dindes. Ça sentait drôle. Michel a fini par se tanner de tuer, plumer, vider ses soixante dindes annuelles. Il a même fini par se tanner d’être un farmer pis il est parti vivre au village avec sa femme pis pas Lassie parce qu’elle a fini par se tanner de vivre.
L’hiver, on allait rarement au chalet parce qu’on n’avait plus l’eau courante. Et l’hiver, c’était toujours un peu plus plate. Sauf la fois où j’avais cueilli des oeufs de mésanges en espérant voir grandir des oiseaux quioutes et que j’avais vraiment regretté ce vol cruel car les oeufs ont juste pourri, et la fois où j’avais pris une photo magnifique de Bonnie qui s’était couchée et qui avait eu l’air de poser, vraiment, comme un vrai top modèle, gros plan de sa tête de profil avec des gros flocons neufs dans ses poils noirs et blancs qui avait valu un agrandissement 8x12 chez Uniprix.
À chaque printemps, j’avais hâter de retourner au terrain pour voir comment était la rivière, si mes roches préférées avaient bougé, si j’étais capable de parcourir mon sentier plus vite que l’année d’avant, s’il y avait des nouveaux animaux. Il y avait toujours des nouveaux animaux. Même si on avait moins d’une heure de route à faire, mes soeurs et moi on trouvait ça super long. Une chance que le paysage était divertissant : le Musée de l’abeille où mon père nous promettait toujours qu’on arrêterait en revenant, un St-Bernard géant fucking laitte, une maison de Schtroumfs, un lac aux piranhas, des dizaines d’animaux à boeuf, et plus encore.
Mes parents ont fini par construire un chalet, j’ai pus jamais entendu l’expression aller au terrain, et j’ai pus jamais raconté ma vie à une vache. L’herbe est haute dans l’enclos du voisin.
* Sauf deux : mon tour premier, et l’été 2008 parce que j’ai trop perdu de temps à travailler.
mardi 14 juin 2011
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