Bonnie habitait officiellement su Marc, un de nos voisins de chalet. Jamais je ne l’ai vue avec une laisse ni même un collier, c’était la chienne la plus libre que j’ai connue. Aussitôt qu’elle entendait le moteur de notre voiture qui passait devant su Marc, elle nous accueillait et nous suivait jusqu’au terrain/au chalet pour nous accompagner dans toutes nos activités extérieures, dont la baignade à la rivière, où elle semblait troublée de nous voir disparaître sous l’eau. Bonnie, toujours à proximité de nous, monitrice de nos vies sans jamais avoir à intervenir comme Littlest Hobo parce qu’il ne se produisait jamais rien de dramatique dans notre vie pas comme à la tévé.
Elle était si belle! Marc disait que sa Bonnie était un croisement entre un labrador et un berger allemand. Elle avait pourtant un masque de husky, mais quand même des oreilles de labrador et aussi des pattes palmées d’ornithorynque et les couleurs d’un écran de télé enneigé.
À chaque fois qu’on allait se promener dans la forêt, à la rivière ou à la montagne, on pouvait compter sur elle pour nous escorter avec enthousiasme et quand même beaucoup de sérieux. Bonnie, c’était une chienne très sérieuse. Elle n’aboyait jamais, elle ne jouait pas tel un éternel chiot, elle aimait se faire flatter, mais pas démesurément. Oh, à la limite elle pouvait aller chercher un bâton qu’on lançait à l’eau, mais je soupçonne que c’était juste un prétexte pour se mouiller, se secouer près de nous et puer. La Bonnie, on pouvait l’oublier dehors plusieurs jours de temps pis c’était pas grave. Elle buvait à la rivière, dans une flaque d’eau ou dans la cuvette de la toilette, et elle chassait aisément des marmottes belliqueuses. Ou alors elle déterrait la tête de boeuf que Michel lui avait donnée et grugeait ça en snappant des mouches. Les rares fois où elle s’est faite asperger par une moufette, elle s’est frottée la face contre la mousse des roches dans la rivière. L’odeur finissait par disparaître, et Bonnie finissait par sacrer la paix aux bêtes puantes. Elle se baignait à la rivière dès que les glaces avaient fondu et ce jusqu’à ce qu’elles réapparaissent à l’automne. Bonnie avait un comportement un peu étrange envers les autres chiens. Alors qu’eux devenaient totalement excités à l’idée d’une rencontre canine, elle, elle avait l’air de s’en foutre un peu, restait trop calme. On aurait pu dire qu’elle était un peu snob avec les chiens.
Un jour, Robin a décidé de m’amener à la chasse à la perdrix. (C’est la seule fois de ma vie, juge-moi pas!) Il a demandé à ma mère de garder la chienne avec elle dans le chalet. « Bonnie va faire peur aux pardrix. Laisse-la pas sortir avant une bonne demi-heure, le temps qu’on monte la montagne. A nous r’trouvera pas. » La montagne automnale, c’est magique. Les couleurs sont flashy, y’a presque pas de bibittes, c’est pratiquement silencieux, on entend juste le vent dans les feuilles et quelques oiseaux, parfois. On marchait d’un pas régulier dans la forêt tranquille quand SOUDAIN!!! on entendit le souffle profond d’un carnassier féroce s’approcher de nous par derrière. Bin oui, je sais que c’est pas vraiment un gros punch thrillant, mais je peux vous dire qu’on a quand même eu la chienne pendant deux secondes avant de se rendre compte que c’était notre chienne qui nous avait rejoints. Bonnie nous a pistés grâce à sa vaste membrane olfactive de dedans de nez de chien super motivée à travailler, parce que Bonnie c’était pas un chien de race sélectionné pour la longueur de ses pattes ou la hauteur de ses oreilles ou whatever d’on s’en crisse-tu de vos standards de chiens pure race trop cons pour tenir debout ça crève au premier coup de vent. Et Bonnie a compris qu’elle allait devoir nous suivre parce qu’on voulait pas qu’elle fasse décoller une perdrix trop loin devant nous. Et ça n’a pas été long qu'une gélinotte huppée a bondi hors d’un buisson. Pas encore assez saoul, Robin était gréyé d’un pas pire réflexe et a tiré l’oiseau. J’aurais bien voulu voir sa face de pauvre perdrix pas chanceuse et m’excuser mentalement en la regardant dans les yeux, mais on ne trouvait plus sa tête. Un petit corps chaud décapité, des tas de plumes. « Maudit criss! J’ai jamah vu ça! A PUS D’TÊTE, CÂLISSE! » Robin n’avait encore jamais pulvérisé une tête de perdrix et il trouvait ça très drôle et n’en revenait pas. On n’a trouvé aucun morceau de tête dans le périmètre de la scène tragique. Traîne encore quelque part une photo où on me voit tenant la gélinotte sans huppe, et ma grosse soeur aime bien la sortir celle-là quand elle veut montrer à quelqu’un que dans une autre vie, les animaux, je les aimais pas tant que ça. Pff.
Un jour, quelqu’un a vidé du métabisulfite de sodium dans la cuvette de la toilette sans flusher. Bonnie a souffert au moins deux jours avant de mourir. J’avais douze ans, elle en avait un peu plus. J’ai pleuré des larmes de grosse tristesse sur bébé Po dans mes bras.
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