lundi 4 janvier 2021

Les éléphantes les plus tristes du monde

Hier je suis allée me promener au parc La Fontaine avec Doune et il m’a appris qu’il y a déjà eu un zoo là, à côté de chez moi, un genre de mini parc d’attraction sous le thème des contes pour enfants. Ça s’appelait le Jardin des merveilles. Plusieurs dizaines d’animaux ont vécu là, et quelques éléphantes s’y sont succédé pour tenir le rôle de Babar, dont la célèbre Toutoune (1977-2012), qui a fini ses jours au Zoo de Granby. C’est ce dernier détail qui a surtout retenu mon attention. WTF des éléphants au parc La Fontaine. Doune a dit « je peux-tu t’appeler Toutoune? », et j’ai dit oui. Boubeur m’appelle déjà truie, vache, baleine, couche-culotte, sacoche, etc., y’a de la place pour Toutoune.

 

Sur le site d’Archives de Montréal, une certaine Thérèse a commenté ceci à propos de cette Toutoune : 

 

Le « rôle » de Babar a été joué successivement au Jardin des merveilles par plusieurs jeunes éléphantes qui se retrouvaient dans des zoos quand elles devenaient plus grandes. L’une des plus célèbres a en effet été renommée Toutoune à son arrivée au Zoo de Granby après la fin de sa carrière de Babar au Jardin des merveilles (1979-1985). Son surnom lui a été donné par son gardien qui l’avait trouvée un peu grassouillette! Elle était adorée du public tant de Montréal que de Granby. Elle était née au Zimbabwe en 1977 et est décédée au Zoo de Granby en 2012.



L’une des éléphantes « Babar » au Jardin des merveilles, en 1965.



Depuis, j’ai pas arrêté de pleurer, mais pas juste à cause de Toutoune. J’ai surtout pleuré pour d’autres raisons, mais j’ai aussi pensé à Toutoune qui a eu une vie beaucoup plus misérable que la mienne, et je me sentais mal de pleurer pour mes petites misères de vie de marde. Mais je veux pas me comparer. Et je sais que je dois me débarrasser du sentiment que mes problèmes valent pas la peine d’être traités parce que plein d’autres personnes souffrent plus que moi. Mais quand j’ai de la peine pour ce qui m’arrive, mon empathie s’exacerbe. Des fois c’est badtripant, c’est lourd en estie.

 

Toutoune est née en 1977 au Zimbabwe (1979 selon d’autres sources), et a été capturée en 1981. À l’âge de quatre ans, les éléphants sont des bébés. Ils dépendent de leur mère et de leur famille. À l’état sauvage, les éléphants ont une espérance de vie d’environ 70 ans; à titre de comparaison, les humains ont une longévité moyenne mondiale de 71 ans. Toutoune est morte à 35 ans. Je sais pas quand je vais mourir, mais je trouverais ça poche que ça m’arrive avant mes 40 ans, même si la vie me tente pas full ces temps-ci.

 

Les éléphants des savanes (Loxodonta africana) comme Toutoune vivent dans des clans tissés serrés : des femelles adultes apparentées vivent ensemble avec des bébés et des ados, et c’est la matriarche qui mène le groupe. Lorsque les adolescents mâles atteignent la puberté, vers l’âge de 15 ans, ils deviennent graduellement plus indépendants, puis quittent la famille pour s’allier à d’autres bros et former des boy bands. La composition de tous les clans peut changer au fil du temps, selon les ressources, les liens, les décès, etc. Plusieurs clans peuvent former des liens entre eux. Il se passe beaucoup de choses dans la vie des éléphants.

 

Les éléphants ont une vie sociale très complexe, on sait qu’ils font du babystting, qu’ils pleurent leurs morts et qu’ils ont une excellente mémoire — assurément meilleure que la mienne. Les éléphants captifs qui ont la chance de cohabiter avec leurs congénères, comme ce fut le cas pour Toutoune à son arrivée au Zoo de Granby en 1985, n’ont toutefois pas l’option de choisir leurs amis. Même en bénéficiant des meilleurs soins possibles, on peut les qualifier de détenus à perpétuité. Certains ont une vie meilleure que d’autres.

 

Je n’ai jamais visité Toutoune, je ne la connais pas. J’ai de la peine pour Toutoune, mais aussi pour ce qu’elle symbolise. Un bébé capturé à l’état sauvage pour devenir une attraction, un divertissement. Privé des soins de sa mère, ses tantes, ses sœurs et ses cousines. Quelqu’un qui n’a pas eu la chance d’avoir une vie riche, digne, stimulante, libre; tout ça pour un caprice anthropocentriste.


Flavia, l’éléphante la plus triste du monde


 

Toutoune a manifestement eu plus de chance que Flavia, surnommée l’éléphante la plus triste du monde, morte dans un zoo minable d’Espagne après 43 ans de confinement solitaire total. Quarante-trois ans, crisse. Pis on parle pas de confinement partiel et temporaire. On parle de prison à vie pour des personnes qui n’ont commis aucun crime. Pis partez-moi pas sur les exécutions d’éléphants, parce que c’est pas juste de tristesse que je vais pleurer mais de rage. J’ai vu des images que je pourrai jamais oublier — même si j’ai une mémoire pourrie.


Tyke a eu une vie tragique jusqu’à sa morte ultraviolente. Voir le documentaire Tyke Elephant Outlaw (2015).


Un autre éléphant d’Asie a porté la même épithète que Flavia, mais il a connu une fin moins tragique. « The loneliest and saddest elephant in the world », Kavaan, avait été offert à un dictateur pakistanais à l’âge d’un an, pour ensuite passer sa vie dans un zoo miteux, où il a été enchainé et battu. Par chance, les efforts des activistes ont porté fruit : Kavaan a été déplacé dans un sanctuaire au Cambodge en novembre dernier, où il pourra tisser des liens avec d’autres éléphants (et Cher?) et vivre une vie plus stimulante. Je pense que je vais prendre des nouvelles de Kavaan régulièrement.


Le déplacement de Kaavan, opération compliquée, dangereuse et couteuse incluant sept heures de vol.


 

Mine de rien, j’ai beau avoir passé la journée au lit, écrire tout ça m’a permis de prendre des petits breaks de pleurage sur ma petite condition humaine. C’est mon coach de dépression qui m’avait conseillé d’écrire (mais pas sur les éléphants, là). Au début ça me tentait pas, mais je l’ai fait pareil et je mets ça en ligne même s’il y a peut-être des inexactitudes (et je m’en excuse). Merci Boubeur, bonne nuit les ami·es.



Toutoune au Zoo de Granby.


 

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