Je suis chez
Whitney et on jase dans sa cour, puis la discussion nous mène au sujet de la
mort de Po. Ça vient d’arriver, quelques jours à peine. Alors que je lui
raconte comment s’est déroulée son euthanasie, je vois les yeux de Whitney qui
s’emplissent d’eau, et forcément ça me fait pleurer aussi, mais ça me fait pas
arrêter de parler, je continue, je continue tellement que je fais un lapsus des
plus cons mais tellement beau : « J’avais jamais vu mourir mon
chat. » Ce que j’ai voulu dire, c’est « j’avais jamais vu mourir un chat ». On se met à rire. Je me
trouve conne. Rire en pleurant, c’est toujours un peu étrange. J’ai assisté à
presque tout dans la vie de Po. « J’avais jamais vu mourir mon
chat. » Ne manquait que ça.
Et j’ai vu mourir
Po.
Le 27 juin dernier,
vers 16 heures. J’ai pas regardé l’heure, j’étais trop concentrée sur le moment
présent — ouais, faut croire que ça m’arrive parfois. La première personne que
j’ai textée, c’est Simon Dou. À 16 h 18. Il voulait des nouvelles,
s’inquiétait.
Ça s’est passé
comme je l’ai toujours souhaité. En douceur, sans stress ni panique. Pour une
angoissée comme moi, ça tient presque du miracle.
On a quand même pu
passer une belle dernière journée ensemble, malgré tout. En fin de matinée, Po
a eu un petit regain qui lui a permis de faire un dernier tour d’inspection de
sa ruelle, où elle a senti des affaires importantes et mangé des brins d’herbe,
comme il se doit. J’ai même hésité. Et si j’allais trop vite? J’ai rappelé le
Dr Lassonde. Il a tout de suite compris ce qui se passait. Et je me doutais
bien que mon hésitation n’était que de la peur. « Les chats vivent dans le
moment présent. » Po est sortie dehors parce qu’elle en avait la force à
ce moment-là, mais son état n’allait que décliner. Et rapidement. De ce fait,
une fois rentrée dans la maison, elle s’est étendue par terre, exténuée. On a
somnolé ensemble sur le lit jusqu’à l’arrivée du Dr Lassonde. Notre dernière
sieste ensemble. Le vétérinaire a pris tout son temps, on a longuement discuté,
et Po est venue faire sa connaissance. C’est un pro, il fait presque juste ça,
des euthanasies à domicile. J’aurais cru que c’est un métier déprimant, mais il
dit qu’il a la chance de vivre des moments privilégiés. Et je présume que ses
clients sont presque tous des gens qui tiennent beaucoup à leur animal. Tu fais
pas appel à un vet à domicile pour faire tuer ton chat parce qu’il fitte pus
avec la nouvelle tapisserie. Enfin, j’ose croire.
Tout s’est déroulé
calmement. Dernière séance de brossage. Po frotte ses joues contre la brosse.
Doucement, lentement. Injection du sédatif. Le vétérinaire nous laisse seules
un moment, après m’avoir prévenue de prendre Po dans mes bras dès que je
verrais qu’elle aurait l’air « un peu saoule ». Je dis à Po que je
l’aime, même si elle est droguée, sur le point de vaciller, même si elle est
sourde. Le sédatif agit vite, ses pattes sont déjà molles, elle a l’air de
Pascale Bérubé chez Jos Dion. Je prends ma Po dans mes bras, et je m’assois en
Indien sur notre lit avec elle sur moi, comme on l’a fait un million de fois.
Posture confortable, cocon de tendresse. Po s’endort dans mes bras, avec ses
yeux de hibou — effet secondaire de la drogue —, et bien qu’elle soit
maintenant complètement inconsciente, je continue de la flatter un moment. Seule
sa respiration superficielle m’indique qu’elle est toujours vivante. Je lui dis
adieu. Je veux sentir son odeur une dernière fois, mais elle a déjà perdu son
odeur de Po. Mon nez perçoit quelque chose de médical. Peut-être parce qu’elle
n’a pas fait sa toilette dans les derniers jours.
Pour sa dernière
injection, le vétérinaire me dit que je ferais mieux de placer Po à côté de
moi. Je lui réponds que je suis bien consciente que je sentirai son corps
devenir mou et lourd, mais il m’assure que même si je le sais, je préfère
peut-être pas le vivre. Je lui fais confiance. On place Po sur le lit, avec
sous elle un sac-poubelle et une serviette, au cas où sa vessie se viderait.
C’est des choses qui arrivent quand on meurt. Faire un gros peupi. C’est pas
toujours gracieux comme dans les films tristes, mourir.
Po est sur mon lit,
à côté de moi. Respiration superficielle. Pupilles dilatées. Le Dr Lassonde
tond sa patte avant droite puis cherche la veine. Il prend son temps, Po ne
sent rien. Je continue de la flatter. Je voudrais enregistrer tous les petits
détails de son corps. Toucher une dernière fois à sa zone de l’extra-doux, près
des aisselles. Une fois l’aiguille bien en place dans sa veine, le vétérinaire
injecte l’Euthanyl. Je vois le fluide passer dans le tube fin. Dès qu’il entre
dans le corps de Po, je vois sa respiration s’accélérer, puis cesser
subitement. Ça me prend quelques secondes pour réaliser que Po est vraiment
morte devant moi. Je flatte son petit corps sans vie, sans ressentir sa
respiration ou la tension de ses muscles. Je pourrai jamais oublier cette
image. La sensation. C’était si triste. Mais en même c’était doux et beau. Sans
stress, sans violence, sans douleur. J’ai déjà réglé tous les détails avec le
vétérinaire, alors je lui serre la main et lui dis merci, puis il repart
discrètement, comme un fantôme. La Faucheuse, c’est pas un clown. Mathieu
arrive, on pleure ensemble. Des fois j’ai de la misère à pleurer, je sais pas
trop d’où vient ce blocage, mais à partir du moment où j’ai compris que j’étais
rendue là, que je devais appeler le vétérinaire pour soulager Po, je suis
devenue une source intarissable de larmes. Pis une maudite chance que j’ai
ouvert les vannes, parce que je serais bin morte d’une overdose d’eau salée.
Néyée dans ma tristesse. J’ai même pleuré en lisant un poème que Mathieu
trouverait insupportable, un poème envoyé par une gentille madame qui sauve des
chiens et des chats. Quelque chose d’incroyable, plein de rimes et écrit en
Comic Sans. Et tout au long de la journée, à chaque fois que je lisais un
message ou un texto de soutien, des mots doux et gentils, je pleurais comme une
fillette. J’ai dû fermer mon cell un manné, j’étais en train de me
dessécher.
Après la mort de
Po, j’ai texté Frédéric pour lui dire que c’était fait, et il est venu me
rejoindre. On a flatté la défunte. Puis on est partis ensemble avec le corps de
Po bien emballé dans une serviette, un burrito de Po. Marie-Noël a
emprunté la voiture de son père pour qu’on puisse se rendre à St-Hubert, à la
clinique vétérinaire où travaille Annie-Claude. Elle nous y attendait, seule,
et m’avait prévenue : « Je vais pleurer dès que je vais te voir. Just
sayin. » On a pleuré. Un peu. Mon maquillage a tenu le coup. Mon
maquillage est à l’épreuve de la tristesse. On a placé mon p’tit burrito dans
le grand congélateur qui reçoit les animaux euthanasiés et tués à la clinique.
Dès que je pourrai me rendre dans la Vallée du Gouffre, où Po est née, j’y
emmènerai sa dépouille pour l’enterrer près de Neuneu, mon premier chat.
La veille de sa
mort, je me demandais encore quels signes me permettraient de savoir qu’il est
temps de penser à l’euthanasie de Po. Comment j’ai su? À partir du moment où
j’ai vu que ça n’allait qu’en s’empirant, que Po luttait pour respirer, qu’elle
restait couchée sur le côté, avait du mal à se retourner, à partir du moment où
sa respiration m’a rappelé le souvenir pénible de Vickie durant ses derniers
jours à l’hôpital, affectée par une pneumonie. À quatre heures du matin, j’ai
décidé que Po avait le droit d’être soulagée. J’ai dit à Mathieu, qui me
demandait pourquoi je pleurais autant, que j’allais appeler le vétérinaire dès
l’ouverture de la clinique.
Bon, ça y est,
c’est dit, c’est fait. J’ai fait une comparaison avec Vickie. Est-ce que ça se
fait pas? Est-ce que c’est vulgaire? « La vie est vulgaire », ce sont
ses mots à elle. Alors je suis désolée d’être vulgaire. Je suis désolée de dire
que le deuil de Po me ramène à mon deuil de Vickie. Po, j’en ai parlé. J’en ai
tellement parlé depuis deux ans que j’ai reçu plein de mots doux et sages de la
part de gens que je connais même pas. Mais Vickie, je sais pas quoi écrire sur
elle. Ça reste coincé, ça sort pas bien sous forme de mots.
C’est con, je
croyais que Po mourrait en premier, et que ça pourrait peut-être m’aider un peu
à mieux appréhender la mort de Vickie. Tsé, comme on dit pour les enfants? La mort d’un petit animal de compagnie
initie l’enfant au deuil, à la mort. J’avais
pas pensé que Vickie pouvait partir avant Po. La mort est de même. Avec pas de
tact.
C’est comme ça que
j’ai vu mon chat mourir. Pour la première fois. Et c’est pas la dernière fois
que je verrai mourir des proches. Je sais pas si on peut s’y préparer, mais j’y
pense tous les jours.
Po et moi en 1996. J'étais un peu gothique, oui. |
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