jeudi 28 mai 2020

La fête triste

C’est bizarre d’être seule chez ma sœur. D’habitude quand je viens ici c’est pour des réunions de famille, comme la dernière fois c’était pour la fête de mon neveu en novembre, et comme la mienne tombe une semaine plus tard, et celle du fils de mon nouveau beau-frère est entre les deux, on avait souligné trois anniversaires d’un coup. Ma sœur avait mis des guirlandes noires au plafond — très gothique — et elle ne les a toujours pas ôtées. 

La fois d’avant, c’était pour la fête des Mères de l’an dernier. Ma sœur, son mari et notre autre sœur étaient là, et je leur avais présenté ma Rita. On avait fait un FaceTime avec nos parents. Aujourd’hui, je suis seule avec mes chats, dans le même condo, mes sœurs ne sont pas là, je ne suis plus avec Rita, et c’est sur FaceTime que j’arrive encore à voir mes ami·es. J’appelle ma mère de temps en temps pour prendre des nouvelles d’elle et de mon père, et je lui parle pas de ma petite dépression. C’est mon rôle de fille de l’épargner de mes petits bobos. Elle a 70 ans, elle connait ça les petits bobos. 

Okay, non. C’est pas juste par altruisme que je lui parle pas de mes petits bobos. L’affaire, c’est que ma mère c’est une grande optimiste. Elle est très pensée positive, très y’a rien qui arrive pour rien. Moi, la pensée positive, ça me rend malade. Et comme on s’entend que c’est important de prendre soin de sa santé en tout temps, encore plus en ce moment, je fais ce qui est bon pour moi. J’essaie.

Cette semaine, j’ai recommencé mes exercices. Abandonnés depuis un mois, quand j’ai commencé à faire mes boites, parce que pas une minute à perdre. Montréal-Varennes, c’était mon 12e déménagement, et ce fut de loin le plus stressant. J’ai pas arrêté de me plaindre que j’étais une boule de stress. J’arrivais plus à manger des repas. J’étais en mode colibri : mille minidoses de sucre par jour, s’activer à grande vitesse, être fâchée, 100 % pur stress, etc. Une chance que je trouvais des affaires drôles en empaquetant sinon je me serais fait chier en crisse. Par exemple, je me félicite de pas avoir encaissé ce chèque de 1 $ de François Blais parce que ça m’a fait rire en estie de revoir ça. Pourquoi il m’a fait un chèque d’une piasse? On s’en rappelle même pas. J’ai aussi trouvé une boite remplie de souvenirs de Vickie. De Po. Des bouts de battes glow-in-the-dark. Des photos dont j’avais oublié l’existence.

Bizarre de voir mon appart se défaire tranquillement après l’avoir habité durant toutes ces années. Voici la pièce où Po est morte. Voici l’endroit précis où j’étais quand j’ai appris que Vickie allait mourir. Une histoire d’amour s’est terminée ici, et plus tard une autre a commencé. Puis s’est terminée également. J’ai dégueulé une fois dans ce lavabo; très petit renvou de gastro. Dulude a renversé sa bière en s’endormant dans le lit de Ringuette qui était juste là où se trouve ma lampe rococo que Robin a volée dans un entrepôt avec son chum de brosse. Et j’ai regardé le défi clémentines avec Doune drette là. Je suis triste, je deviendrai pas la vieille sorcière de la ruelle Garnier.

Oui, j’ai beaucoup râlé que j’étais stressée, mais j’ai des ami·es en or (massif). La semaine précédant mon déménagement, Martin m’a apporté des BD, un repas et un masque. Thieuse est allé chercher des boites avec moi. Alexandre m’a lifté et accompagnée à l’entrepôt pour signer le contrat et il a conduit le truck le jour du déménagement.

J’appréhendais beaucoup ce jour-là, d’ailleurs. J’avais peur de m’écrouler de stress et d’épuisement et de tristesse. Fallait pas que ça arrive à ce moment-là. Après, okay. Pas pendant. Le colibri devait continuer de se faire aller.

Je me suis pas écroulée. En plus d’Alexandre et Mathieu, Claudine, Gab, Régis et Emmanuelle étaient là avec leurs muscles et leur amour. Mes ami·es m’ont aidée et m’ont fait rire. Claudine a même pris la peine de gérer la pile de choses que je donnais. Elle a tout classé et affiché sur un bazar, et à la fin, il restait juste mes sandales de gothique et un vieux drap dégueux. 

Après avoir stocké tous mes meubles et mes boites dans l’entrepôt, il restait la dernière étape : me rendre à Varennes avec les chats et mes effets personnels. Thieuse m’a aidée à remplir la Communauto. Je pensais même pas qu’on pouvait remplir un char à ce point-là. Pis l’estie, il avait encore l’énergie pour dire des gnéseries. Je cite de mémoire :
— Peut-être qu’à manné ça va être tellement normal de sortir dehors avec un masque qu’on va être gêné si notre masque tombe. Nos nez, ça va devenir des pénis de face.
— Okay, pis comment on va appeler les pénis d’origine?
— Des pénis de cul.

Le déménagement avait commencé vers midi, et Thieuse m’a laissée à Varennes à 20 h. Les chats sont restés sous le divan durant 4 ou 5 heures. Je leur ai dit c’est cool, on est en sécurité ici, y’a pas de danger. J’ai commencé à dépoffer un peu. Eux aussi. 

C’est tranquille, ici. J’entends jamais de bébé, on dirait que l’immeuble est inhabité. Je pense que ça me fait du bien, même si je suis pas habituée à cette vibe-là. Et peut-être que ça amplifie mon sentiment d’isolement. Je m’ennuie pas du monde en général, mais mes ami·es me manquent beaucoup.

Les guirlandes au plafond, c’est toujours un peu bizarre quand je pogne un coup de déprime solide. Je suis dans un party abandonné que tout le monde trouvait plate.

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