jeudi 14 janvier 2021

Le temps d'une poffe

J’ai enfin accompli une tâche d’adulte : prendre une assurance habitation. Là tu vas me dire que c’est pas une tâche d’adulte, mais juste une affaire normale de personne responsable. Oui, c’est exactement ce que je veux dire par tâche d’adulte.

Ça a été long, parce que la première courtière avec qui j’ai parlé m’a jamais récrit pour m’envoyer les documents promis. Au départ, elle avait pas donné suite à mon message vocal — si c’est pas un geste d’adulte de ma part, ça! —, et sa secrétaire était bin outrée de ça. Je m’en formalise pas, ça peut arriver à tout le monde des choses comme ça. Mais no way que je vais continuer à courir après une courtière alors que j’ai même pas signé de contrat. Ça va être quoi après si je fais une réclamation, han? Han? 

 

En plus, quand je lui ai enfin parlé au téléphone, j’ai pas tripé. Je fais souvent mes appels en mode mains libres, alors Carl Ling a entendu le bout où la courtière a dit que quand elle voyait des gens pas assurés lancer des GoFundMe après s’être retrouvés à la rue à cause d’un sinistre, bin qu’elle donnait pas à sous. Elle a dit ça en riant la câlisse. Carl Ling pis moi on a fait des gros yeux en entendant ça. 0_0   0_0

 

Au moins, le courtier à qui j’ai parlé ce soir avait l’air plus smat. Je connais pas grand-chose aux assurances, aussi ai-je appris aujourd’hui qu’avoir des fumeurs à la maison ça peut faire monter le cout de l’assurance. Il m’a donc demandé si moi ou d’autres occupants fumions dans mon logement. J’ai dit que j’étais pas fumeuse, mais j’ai demandé si fumer du cannabis ça comptait. Il a dit que oui.

 

— Est-ce que vous en avez fumé dans la dernière année?

— Euh… Dans la dernière heure?

— Hé hé hé.

— HÉ HÉ.

 

Ouais, j’ai commencé à fumer de la drogue cette semaine. Comme ma dépression et mon anxiété s’aggravent et que j’ai accès à aucun soin à part l’urgence — que je vais éviter autant que possible —, je prends les choses en main et je tente l’automédication. Chu pas encore devenue une stoner.

 

J’étais un peu découragée de constater que la SQDC livre le pot au bureau de poste, parce que j’ai encore plus peur d’aller au bureau de poste qu’à la SQDC, mais Boubeur m’a appris que si tu choisis l’option express, c’est livré le jour même à ton domicile dans un petit sac de papier brun moyennant des frais de 10 $. Je sais pas combien ça coute se faire livrer ses pénules par Jean Coutu, mais j’estimais que la situation exigeait une telle dépense et j’ai commandé les deux seules sortes de pot préroulé à haute teneur en CBD. Ris pas de moi. J’ai rien ici pour fumer, et je veux pas m’équiper avant de savoir si ça m’aide réellement. 

 

Puisque j’avais commandé en pleine nuit, j’allais recevoir ma livraison le lendemain entre 15 et 19 heures, comme c’est indiqué sur le site. L’affaire, c’est que ça m’arrive d’être encore en train de dormir à 15 heures, et je trouve toujours ça stressant de me faire réveiller par l’estie de sonnette (toutes mes livraisons me réveillent brutalement et j’oublie mes rêves). Ça fait que j’ai passé toute la matinée à me réveiller pour regarder l’heure et watcher l’état de ma commande en ligne. Je regardais la map qui pointait ma maison et je cherchais l’icône de petit camion jaune qui s’en vient chez moi. C’était pourtant sûr que mon pot partirait pas avant 13 heures. J’étais tellement en état d’alerte que j’ai rêvé que je ratais la livraison et que je devais parcourir la ville, je refaisais le trajet du petit camion jaune en sens inverse et je traversais la rivière de Lorimier (?) pour aller chercher mon pot dans une immense bibliothèque et j’arrivais pas à me rappeler si j’avais déjà payé et si je devais donner du tip au livreur. Ouf. Je vous ai-tu parlé de mon anxiété?

 

La veille, j’ai sorti ma carte de RAMQ, ma seule pièce d’identité avec photo, et j’ai pensé que je devrais peut-être me maquiller avant que le livreur n’arrive, non pas par coquetterie, mais pour éviter de devoir argumenter que oui c’est vraiment moi sur la photo, mais c’est moi avec ma face prédépression. Mais à l’heure où je me suis levée, oublie ça, je me suis pas maquillée, je suis même restée en pyjama. Anyway, le livreur a à peine checké ma carte. 

 

Ça me stresse toujours d’essayer des nouveaux médicaments ou drogues, alors je commence biiiin smooth : une poffe par jour, mais une plus grosse poffe chaque jour. Juste pour voir. 

 

Là, je sais pas si c’est juste un hasard, mais hier après avoir pris une poffe de la variété de pot qui « pourrait stimuler certaines fonctions cérébrales », j’ai réussi à refaire mes impôts des deux dernières années pif paf pouf sans m’arrêter ou presque. OK, je me dois de préciser que j’ai pas fait ça « pour le fonne », là, disons que je connais d’autres façons de passer le temps ou de tester mes fonctions cérébrales. C’est juste que j’ai des problèmes à régler et la fiscalité est une source d’anxiété chez moi, et là j’ai juste pas le choix de gérer cette chose et je me suis dit que c’était l’occasion de tester les pouvoirs du CBD.

 

Aujourd’hui, j’ai pris ma grosse poffe après mon appel chez Revenu Québec, et juste avant de reprendre mes recherches d’assurances où je les avais laissées. Passé 16 heures, les bureaux avaient l’air pas mal tous fermés. J’ai décidé de les appeler par ordre alphabétique : le premier qui me répond gagne. Ça adonne bien, je suis tombée sur la police d’assurance la moins chère de toutes. Wow, on dirait que tout le monde gagne aujourd’hui? Merci, cannabidiol!

lundi 4 janvier 2021

Les éléphantes les plus tristes du monde

Hier je suis allée me promener au parc La Fontaine avec Doune et il m’a appris qu’il y a déjà eu un zoo là, à côté de chez moi, un genre de mini parc d’attraction sous le thème des contes pour enfants. Ça s’appelait le Jardin des merveilles. Plusieurs dizaines d’animaux ont vécu là, et quelques éléphantes s’y sont succédé pour tenir le rôle de Babar, dont la célèbre Toutoune (1977-2012), qui a fini ses jours au Zoo de Granby. C’est ce dernier détail qui a surtout retenu mon attention. WTF des éléphants au parc La Fontaine. Doune a dit « je peux-tu t’appeler Toutoune? », et j’ai dit oui. Boubeur m’appelle déjà truie, vache, baleine, couche-culotte, sacoche, etc., y’a de la place pour Toutoune.

 

Sur le site d’Archives de Montréal, une certaine Thérèse a commenté ceci à propos de cette Toutoune : 

 

Le « rôle » de Babar a été joué successivement au Jardin des merveilles par plusieurs jeunes éléphantes qui se retrouvaient dans des zoos quand elles devenaient plus grandes. L’une des plus célèbres a en effet été renommée Toutoune à son arrivée au Zoo de Granby après la fin de sa carrière de Babar au Jardin des merveilles (1979-1985). Son surnom lui a été donné par son gardien qui l’avait trouvée un peu grassouillette! Elle était adorée du public tant de Montréal que de Granby. Elle était née au Zimbabwe en 1977 et est décédée au Zoo de Granby en 2012.



L’une des éléphantes « Babar » au Jardin des merveilles, en 1965.



Depuis, j’ai pas arrêté de pleurer, mais pas juste à cause de Toutoune. J’ai surtout pleuré pour d’autres raisons, mais j’ai aussi pensé à Toutoune qui a eu une vie beaucoup plus misérable que la mienne, et je me sentais mal de pleurer pour mes petites misères de vie de marde. Mais je veux pas me comparer. Et je sais que je dois me débarrasser du sentiment que mes problèmes valent pas la peine d’être traités parce que plein d’autres personnes souffrent plus que moi. Mais quand j’ai de la peine pour ce qui m’arrive, mon empathie s’exacerbe. Des fois c’est badtripant, c’est lourd en estie.

 

Toutoune est née en 1977 au Zimbabwe (1979 selon d’autres sources), et a été capturée en 1981. À l’âge de quatre ans, les éléphants sont des bébés. Ils dépendent de leur mère et de leur famille. À l’état sauvage, les éléphants ont une espérance de vie d’environ 70 ans; à titre de comparaison, les humains ont une longévité moyenne mondiale de 71 ans. Toutoune est morte à 35 ans. Je sais pas quand je vais mourir, mais je trouverais ça poche que ça m’arrive avant mes 40 ans, même si la vie me tente pas full ces temps-ci.

 

Les éléphants des savanes (Loxodonta africana) comme Toutoune vivent dans des clans tissés serrés : des femelles adultes apparentées vivent ensemble avec des bébés et des ados, et c’est la matriarche qui mène le groupe. Lorsque les adolescents mâles atteignent la puberté, vers l’âge de 15 ans, ils deviennent graduellement plus indépendants, puis quittent la famille pour s’allier à d’autres bros et former des boy bands. La composition de tous les clans peut changer au fil du temps, selon les ressources, les liens, les décès, etc. Plusieurs clans peuvent former des liens entre eux. Il se passe beaucoup de choses dans la vie des éléphants.

 

Les éléphants ont une vie sociale très complexe, on sait qu’ils font du babystting, qu’ils pleurent leurs morts et qu’ils ont une excellente mémoire — assurément meilleure que la mienne. Les éléphants captifs qui ont la chance de cohabiter avec leurs congénères, comme ce fut le cas pour Toutoune à son arrivée au Zoo de Granby en 1985, n’ont toutefois pas l’option de choisir leurs amis. Même en bénéficiant des meilleurs soins possibles, on peut les qualifier de détenus à perpétuité. Certains ont une vie meilleure que d’autres.

 

Je n’ai jamais visité Toutoune, je ne la connais pas. J’ai de la peine pour Toutoune, mais aussi pour ce qu’elle symbolise. Un bébé capturé à l’état sauvage pour devenir une attraction, un divertissement. Privé des soins de sa mère, ses tantes, ses sœurs et ses cousines. Quelqu’un qui n’a pas eu la chance d’avoir une vie riche, digne, stimulante, libre; tout ça pour un caprice anthropocentriste.


Flavia, l’éléphante la plus triste du monde


 

Toutoune a manifestement eu plus de chance que Flavia, surnommée l’éléphante la plus triste du monde, morte dans un zoo minable d’Espagne après 43 ans de confinement solitaire total. Quarante-trois ans, crisse. Pis on parle pas de confinement partiel et temporaire. On parle de prison à vie pour des personnes qui n’ont commis aucun crime. Pis partez-moi pas sur les exécutions d’éléphants, parce que c’est pas juste de tristesse que je vais pleurer mais de rage. J’ai vu des images que je pourrai jamais oublier — même si j’ai une mémoire pourrie.


Tyke a eu une vie tragique jusqu’à sa morte ultraviolente. Voir le documentaire Tyke Elephant Outlaw (2015).


Un autre éléphant d’Asie a porté la même épithète que Flavia, mais il a connu une fin moins tragique. « The loneliest and saddest elephant in the world », Kavaan, avait été offert à un dictateur pakistanais à l’âge d’un an, pour ensuite passer sa vie dans un zoo miteux, où il a été enchainé et battu. Par chance, les efforts des activistes ont porté fruit : Kavaan a été déplacé dans un sanctuaire au Cambodge en novembre dernier, où il pourra tisser des liens avec d’autres éléphants (et Cher?) et vivre une vie plus stimulante. Je pense que je vais prendre des nouvelles de Kavaan régulièrement.


Le déplacement de Kaavan, opération compliquée, dangereuse et couteuse incluant sept heures de vol.


 

Mine de rien, j’ai beau avoir passé la journée au lit, écrire tout ça m’a permis de prendre des petits breaks de pleurage sur ma petite condition humaine. C’est mon coach de dépression qui m’avait conseillé d’écrire (mais pas sur les éléphants, là). Au début ça me tentait pas, mais je l’ai fait pareil et je mets ça en ligne même s’il y a peut-être des inexactitudes (et je m’en excuse). Merci Boubeur, bonne nuit les ami·es.



Toutoune au Zoo de Granby.