jeudi 23 mai 2019

J'aime tous les oiseaux de la Mauricie (et du reste du monde)

L’autre jour avant de m’endormir, j’ai lu un article de Dre Aysha Akhtar — « I studied factory farms for years. Visiting one was far worse than I imagined —, et même si ça m’a broyé le cœur, je regrette pas de l’avoir lu. Je me sens obligée de rester informée et à jour sur le sujet.

Le lendemain, dans l’autocar qui m’a menée à Trois-Rivières, j’ai croisé un camion rempli de broiler chickens, ces mêmes poulets dont parle Akhtar dans son article. Des étages de bébés oiseaux — ils sont normalement abattus lorsqu’ils ont entre 7 et 9 semaines, parfois moins —, des petits poulets blancs jaunis avec une toute petite crête, tous entassés dans des cages ridiculement petites. Je sais que plusieurs ont les os broyés.

Mon cœur. Encore le cœur broyé. Mais je regrette pas de les avoir vus. 

C’est toujours pareil : j’ai envie de m’excuser, de leur dire que je les aime, même si ça change rien, et de m’excuser, je suis désolée, je suis tellement désolée…

J’en ai tout de suite parlé à Rita et Isabelle sur Messenger, mais c’était un très mauvais réflexe parce que les deux avaient eu un début de journée de marde. Je m’en voulais d’avoir manqué de jugement. Je me suis rappelé que je connais d’autres solutions pour esquiver une crise de panique.

J’ai essayé de penser à des belles choses. J’ai regardé les nuages. J’ai pensé à l’Antarctique. J’ai pensé à Christiane Bailey. Après, j’ai remarqué les oiseaux libres et vivants : un rapace qui plane, des bernaches qui posent. À partir de là, j’ai pu me concentrer sur tous les animaux que je croisais sur ma route.

Seulement à la hauteur de Maskinongé, j’ai vu : un petit rat musqué qui nageait, au moins trois grands hérons (dont un qui avait l’air de se prendre pour un autre, mais c’est pas de sa faute), des bernaches, un canard colvert, des carouges à épaulettes, des goélands argentés (ou à bec cerclé?), un échassier blanc que j’avais jamais vu! (une grande aigrette, on dirait), un marmotton, plusieurs marmottes, des corneilles d’Amérique, un geai bleu, un merle d’Amérique, peut-être un grand corbeau, des étourneaux sansonnets, un quiscale bronzé. 

Toujours à Maskinongé, j’ai pas vu : André pis Nicole.

Mes yeux poches d’humaine n’ont pas vu non plus les très petites espèces, comme les insectes et les rongeurs et les amphibiens, mais j’ai vu des pneus et une shitload de déchets anthropocènes. Ça, je pouvais pas les manquer.

J’ai aussi vu des maisons et des chalets inondés. J’ai pensé à la revue de témoins de Jéhovah que j’ai ramassée en fin de semaine en prenant le métro vers Longueuil dans laquelle on t’explique quoi faire si tu subis une catastrophe naturelle. J’espère que ces gens inondés ne lisent pas Réveillez-vous!. Ils seraient déçus en maudit. J’espère qu’ils vont être corrects.

Les bernaches faisaient des choses importantes. 

J’avais moins envie de pleurer, mais j’avais encore les larmes aux yeux. Je les aime. (C’est correct d’aimer des gens qu’on connait pas.)

Et pendant que je regardais ces oiseaux, les condamnés et les libres, un oiseau que je connais bien, l’oiseau le plus choyé, le plus aimé, vivait ses derniers instants de vie d’oiseau aimé et choyé. Tout ça se passait quelques jours avant sa mort brutale et dramatique, qui laisse derrière elle des cœurs broyés, inconsolables. 


Et je vous jure qu’il n’y a pas de différence entre le deuil d’un humain et celui d’un oiseau, et je ne sais pas pourquoi on dit « partir comme un petit oiseau ».