Préface : Je partage avec vous un chapitre du email que je suis en train d’écrire à mon ami Emmanuel, car je crois que c’est d’intérêt public.
Cher Emmanuel,
Pendant que tu vis ta meilleure vie en Europe, je t’ai promis que j’allais te raconter ma visite chez le podiatre et tenter de rendre ça au moins aussi impressionnant que ce que tu vis présentement.
Avertissement : T’as full le droit de soupirer et rouler des yeux en lisant mon récit et de me trouver nounoune de m’inquiéter pour des problèmes de pied mineurs alors que je suis même pas diabétique et que j’ai pas d’antécédents de graves problèmes de pied. T’as l’doua.
Tout d’abord, le début :
Je marchais avec Thieuse, et comme toujours, on passait d’un sujet à l’autre et il en vient à me parler d’une infection qu’il a eue au doigt, qu’il nomme « panaris ».
— Han, ça s’appelle pas plutôt une balanite?
— Une balanite?
— Ah non, la balanite c’est l’inflammation du pénis! J’ai pas rapport…
Je pourrais pas te dire pourquoi j’ai confondu panaris et balanite. Doigt, pénis, divan, espoir, Sainte-Julie. Ayoye. Pas facile de classer les choses au bon endroit.
Là où je veux en venir, c’est qu’en me parlant de son panaris, Mathieu m’a fait réaliser que le truc qui venait de m’arriver au pied était peut-être pas une mycose de l’ongle mais un PANARIS. Veux-tu des détaux? Si oui, lis le prochain paragraphe en italique. Si non, saute le prochain paragraphe en italique.
J’avais remarqué une petite lésion à mon gros orteil gauche, drette au coin extérieur de l’ongle. Un genre de mini saignement, un petit peu d’inflammation. Après, j’ai vu une très petite tache noire à la base de l’ongle, mais vers le coin intérieur, ainsi qu’une fine ligne horizontale à la base de l’ongle, ça formait comme une différence de niveau. Je sais pas si mes explications sont claires. En tout cas, ça m’a rappelé la fois où j’ai eu une mycose de l’ongle. Mais comme ça fait 11 ans de ça, mes souvenirs étaient peut-être pas 100 % justes. Anyway, j’ai présumé que c’était probablement ça et pour pas courir le risque que ça s’aggrave, j’ai appliqué de l’huile essentielle de Melaleuca alternifolia, puisque c’est qui m’avait guérie de ma mycose. Mais oublie ce que tu viens de lire parce qu’après coup j’ai su que finalement on n’a pas de preuve que l’huile essentielle d’arbre à thé guérit les infections fongiques des ongles, et j’en ai déduit que mon cas n’était qu’une guérison spontanée – le spontané a quand même pris un an à se spontanéiser, le temps qu’un ongle sain repousse en entier. MAIS PIRE ENCORE, c’est une huile essentielle toxique pour les chats, et même si mes pieds sont couverts, que mes chats risquent pas d’en manger, je veux pas qu’ils inhalent de l’huile essentielle pouéson fait que j’ai abandonné cette idée de traitement. Bonne affaire, parce que tu apprendras plus loin que c’était pas pantoute une mycose, pis en plus ça pue le yawbe cette huile-là.
Bon, comme je venais d’apprendre que j’avais peut-être un panaris, ça changeait mes options de traitement. Je me suis dit okay, faut pas que j’oublie de chercher panaris en entrant chez moi. Faut juste que je répète le mot dans ma tête, ça va être comme si je l’avais noté sur un ti papier. « Panaris panaris panaris panaris panaris... »
Cinq secondes plus tard, en entrant chez moi : « Balanite balanite balanite balanite balanite… » WOW c’est quoi mon problème? Au moins je m’en suis rendu compte avant de googler des images de balanite. En cherchant « panaris orteil », je suis tombée sur un site qui s’appelle Pied réseau. Sur ce site, il y a des fiches informatives sur des problèmes de pied courants. J’ai appris que le panaris est une infection d’origine bactérienne, souvent causée par le staphylocoque doré ou un streptocoque, tandis que la paronychie est une inflammation ou infection fongique, provoquée par exemple par Candida albicans. Ça ressemble à un ongle incarné. J’ai pensé que je m’étais peut-être fait ça durant une pédicure, j’ai regretté de pas avoir fait bouillir mon coupe-ongle, de pas avoir été plus douce et minutieuse. J’ai peut-être coupé mes ongles trop courts? Je tolère pas les ongles longs. :(
Anyway, le temps n’est plus aux regrets mais à l’ACTION, je regarde alors comment on traite ça. Si l’infection est avancée, le podiatre peut faire un drainage de l’abcès, mais je suis pas rendue là. Y’a des médecins qui suggèrent les bains javellisés, d’autres qui croient que c’est irritant et qu’on devrait plutôt opter pour les bains d’eau salée. J’avais déjà prévenu une infection du doigt – morsure de chaton pas content – grâce à la première option, mais cette fois j’ai préféré essayer l’eau salée. Ça adonne bin, j’ai beaucoup de sel.
À ce stade-ci de l’histoire, tu dois avoir envie de me demander pourquoi je suis pas allée consulter mon médecin. C’est vrai que j’ai la chance d’avoir un médecin de famille. Mais j’ai aussi la malchance d’avoir un médecin que je trust pas. Je me voyais mal patienter deux ou trois heures dans sa petite salle d’attente bondée pis pas ventilée. Est-ce que le Dr Vo Van aurait posé le bon diagnostic? M’aurait-il traitée ou m’aurait-il dirigée vers un spécialiste? J’ai décidé d’aller directement voir le spécialiste et j’ai fait un move de bourge : consulter au privé.
Je dis bourge mais c’est même pas vrai. Y’a plein de monde qui consultent au privé sans en avoir les moyens, qui s’endettent parce que l’attente au public est irréaliste. Mais dans mon cas, j’aurais pu passer par le système public, ma vie et ma sécurité n’étaient pas en danger — même si j’arrêtais pas de dire que j’espérais ne pas me faire amputer le pied — et mon problème n’était pas souffrant. Move de bourge parce que j’avais pas l’énergie que ce soit compliqué ou long.
Hey j’espère que ça parait que j’essaie de faire concurrence à ton voyage en Europe. On n’est même pas encore rendus chez le podiatre, tu dois capoter un peu.
Tsé le site de pieds? Bin c’est pas juste des informations pour le fonne, c’est un réseau de cliniques, ça fait que j’ai pris un rendez-vous directement sur leur site avec un docteur qui se trouve pas trop loin de chez moi. Dix jours plus tard, je me rendais à la clinique en Bixi. Mais entretemps, y’a eu des changements sur mon pied. Veux-tu des détaux?
Heureusement, mon orteil n’avait pas l’air de trop s’infecter. Pas d’enflure, pas d’abcès. Par contre, il est apparu une petite boule de viande sur l’endroit affecté. Je l’ai montrée à Nicolas, qui est en quelque sorte un médecin de l’internet, pis il m’a suggéré des diagnostics possibles, le pire étant une tumeur. « Veux-tu voir les images? » Nenon, pas tussuite. Mais il a quand même dit que c’était surement pas une tumeur. Et au final il a eu raison, tu vas voir.
Alex m’a amené une commande de pharmacie : beaucoup de plasters et du Polysporin. Ça s’ajoutait à mes bains salés.
Je te le dis tout de suite, j’ai pas le cancer du pied (j’espère que t’es pas trop fan des punchs parce que c’est pas mon point fort), et si t’as lu le premier paragraphe en italique, tu sais aussi que c’est pas une mycose de l’ongle non plus. Est-ce que je te tiens en haleine?
La veille de mon rendez-vous, je parlais de mon problème de pied avec une bonne amie. (C’est le fonne être mon ami·e, han? Je vous parle de mes problèmes de pied.) Cette bonne amie – appelons-la Monique parce que je sais pas si elle veut que je le dise ici – m’a offert de payer ma consultation. Ça me gênait, parce que même si je suis full inquiète pour mes finances, mon compte est pas encore vide. Mais elle m’a viré 100 $. Merci tellement, Monique. Je serai moins stressée d’avoir une deuxième consultation à payer, le cas échéant. Oui oui, je vais peut-être devoir retourner à la clinique podiatrique! MAIS JE SAUTE DES ÉTAPES. Je sais pas raconter. Okay, je continue au JOUR DU RENDEZ-VOUS.
Bon. J’avais mis mon cadran, parce que le rendez-vous était à 14 h 20 (ouf). La ride de bécique se fait bien, la clinique est pas loin de la station de Bixi, et drette à côté des deux ornals géants. C’est un beau bonus, ça.
J’ai jamais su l’histoire de ces deux mascottes de Pie-IX, à manné je m’informerai. Mais là j’ai pas le temps parce que je vais consulter pour mon problème de pied. La porte est barrée, je sonne. APRÈS, je lis l’avis sur la porte : c’était écrit quelque chose comme « Merci de ne pas sonner à l’heure de la sieste, entre midi et 15 h ». L’heure de la sieste? Ah bin crisse. Les petits bonhommes sur la vitrine, le mot GARDERIE, ça aurait dû être de bons indices. Maudit que chu pas vite.
— Oui?
— Oh je m’excuse, je crois que je suis au mauvais endroit, je voulais me rendre à la clinique podiatrique.
— C’est la porte dans le stationnement.
— Je suis tellement désolée, merci…
La madame avait une voix fatiguée, mais elle était super polie. Pas une voix fatiguée comme si je la réveillais d’une sieste, plus comme une voix fatiguée de répéter la même chose aux gens stupides qui lisent pas les affiches. Quoique ça se peut que je l’aie réveillée d’une sieste. Moi j’ai souvent envie de faire des siestes, et si j’avais 3 000 enfants sous ma garde, je voudrais faire une sieste chaque heure.
Finalement, je me suis quand même retrouvée dans une petite salle d’attente bondée avec du monde qui pensent que la pandémie est finie. Les secrétaires ôtaient leur masque pour parler et le replaçaient ensuite symboliquement sur leur menton. Je tripais pas.
Pis c’était loooooong, là. J’ai lutté contre la crise de panique durant pas loin d’une heure. Je me sentais pas bin, j’avais mal au cœur, j’arrêtais pas de me tortiller sur ma chaise, puis de penser au fait que je me tortille sur ma chaise et que ça doit gosser le monde autour, je suis sortie prendre l’air, je suis retournée m’assoir, j’ai été témoin de discussions tendues entre les secrétaires, j’ai eu le feeling que quelqu’un subissait du harcèlement au travail ou du moins vivait un conflit avec un·e collègue, j’avais pas envie de connaitre les détaux, j’ai écouté de la musique pas fort, je me sentais stressée par toute mais pas particulièrement pour mon pied, j’avais des pensées envahissantes, et dès que la stagiaire du podiatre est venue me cherche, mon anxiété est tombée.
Je me suis assise dans le fauteuil d’examen, le podiatre est entré et m’a dit que sa stagiaire finissait son stage dans quatre jours. Aussi bien dire que j’ai été examinée par deux médecins. Les deux étaient d’accord sur le diagnostic et le traitement. Leur diagnostic : un granulome, soit une tumeur vasculaire (mais une tumeur non cancéreuse). Nicolas l’avait callé! Et il s’est fait le plaisir de me le rappeler quand je lui ai annoncé mon diagnostic (et j’avoue que j’avais oublié qu’il avait parlé de granulome, alors j’ai pu être authentiquement surprise dans la salle d’examen). Le granulome aurait été causé par un choc au pied (je me souviens de rien, mais je dois admettre que je me souviens à peu près jamais de l’origine de mes ecchymoses non plus), ce qui fait que la matrice de l’ongle fucke un peu la repousse, et ça expliquerait également le petit hématome et la ligne à la base de l’ongle (la repousse fuckée). Les deux sont convaincu·es que j’ai pas de mycose, que ça sert à rien de payer pour une analyse. Les deux étaient aussi pas mal smats et ont su me rassurer.
Le traitement proposé : bruler le granulome avec du nitrate d’argent. Y’a pas de frais en plus de ceux pour la consultation, et ça devrait marcher en une ou deux séances. Ça fait pas mal, mais le podiatre m’a prévenue que ça laisserait une drôle de coloration. MAN. On dirait des effets spéciaux de film de zombies. Gris, mauve, rouge, noir, bleu. Ça surprend. Mais j’avais été prévenue! Si jamais ce traitement suffit pas, le médecin peut faire une petite opération pour retirer la portion de la matrice de l’ongle qui cause problème. J’aurais un ongle moins large, mais qui risquerait moins de s’incarner, si je comprends bien. Je me souviens plus du cout de la matricectomie, mais je me rappelle que la stagiaire m’a dit qu’une opération pour l’hallux valgus (dégueulassement surnommé OGNON DE PIED) coutait 4 000 $ au privé. J’ai pas demandé si c’était pour un pied seulement ou pour les deux pieds. Bref, j’ose croire que la matricectomie coute moins que 4 000 $, mais ça reste surement au-dessus de mes moyens alors j’irais au public, ce qui veut dire que je vivrais avec mon granulome pendant environ huit ans. Mais sais-tu quoi? J’ai déjà eu un granulome sous la langue, après mon perçage, et il est parti tout seul. Peut-être que ça fera pareil sur mon pied. On verra. Mais avant, je donne une chance au nitrate d’argent qui zombifie mon pied. J’ai un autre rendez-vous dans quatre semaines, mais j’espère que mon pied sera alors assez guéri pour que je puisse l’annuler.
Ah ouin, j’ai aussi appris que je dois changer de suyers. J’ai montré à la podiatre stagiaire les semelles de mes belles bottes : les talons sont usés seulement vers l’extérieur. Elle m’a dit que ces semelles-là étaient finies, que c’était pas bon pour mes pieds. :( Mes bottes sont autrement en bon état, ça me fait de la peine de devoir en acheter d’autres. Ça fait exactement quatre ans que je les porte, trois saisons par année. J’aimerais ça pouvoir faire changer les semelles seulement. Je verrai si ça vaut la peine. Si tu veux, je te raconterai ma visite à la cordonnerie. Tu me diras si ça te tente.
Au moment où j’achève ce vibrant récit de pied, la repousse neuve de mon ongle fait environ deux millimètres. Peut-être que mon ongle sera entièrement renouvelé dans huit ou neuf mois. Peut-être que je serai une nouvelle personne? Je l’espère, ossetie.
Je vais poursuivre ton email plus tard, là il faut que je joue à Mario World. Ah pis oublie pas de me dire si tu m’envies ou si tu préfères ton voyage en Europe.