mardi 16 juin 2020

Cimetière d'araignées


Hier en début de soirée, Doune m’a proposé qu’on se voie parce que Cath, son ex, m’a fait un beau masque à motifs de kiwis [vous pouvez lui en commander ici, elle a plein de beaux tissus, ses masques sont bien faits et tiennent en place]. Comme il venait juste de me parler de l’araignée qu’il avait trouvée — possiblement du genre Steatoda —, je lui ai dit apporte ton araignée, et si t’as du temps on peut aller marcher un peu pis je vais te montrer la mienne. La veille, j’avais trouvé une jeune épeire diadème à côté de moi sur le divan et j’étais fière de l’avoir déposée directement dans un contenant en la tenant par sa soie.

Ça fait qu’on s’est rejoints sur le boulevard, on s’est montré nos araignées, pis j’étais vraiment heureuse de vivre ça avec un adulte pour la première fois de ma vie, pis on s’est dit qu’on pourrait aller les libérer au parc. Parce que nos araignées ne sont pas vraiment nos araignées : elles sont à elles-mêmes.

Comme on passe devant le cimetière, je propose d’aller là à la place, dans notre habitat naturel de gothiques. On check les tombes, pour le fonne, par curiosité, parce que c’est une activité que j’aime faire. À Baie-Saint-Paul, j’allais souvent au cimetière avec Patrick, et maintenant on se promène dans celui de Louiseville [il a d’ailleurs adapté des anecdotes personnelles de cimetière dans Le modèle de Nice, j’en suggère fortement la lecture et pas juste pour ça : c’est probablement son meilleur livre jusqu’à présent]. Quand je suis dans une ville que je connais pas, j’aime aller fouiller dans le cimetière pour connaitre les mort·es. Je lis les noms, j’apprends à connaitre les familles de la place, l’âge des mort·es, j’apprécie (ou pas) l’esthétique des pierres tombales et de l’aménagement paysager. Le cimetière de Varennes me semble assez standard : de la pelouse, des pierres tombales en granite lustré, certaines plus vieilles et couvertes de bryophytes, des plaques au sol, quelques arbres matures. Étrangement, plusieurs rangées de monuments ont été tassées vers le fond du cimetière, laissant un grand espace vide. Probablement pour faire un nouvel aménagement? « Je pensais que c’était pour les gens qui ont des longues jambes. » Ouais, des jambes de 40 pieds, peut-être. Logique. On lit les noms des mort·es, je remarque deux Alexina (c’est un beau nom, je trouve). Doune reconnait un jeune mort sur la route en 2005, fait divers triste; la pierre tombale avait attiré mon attention à cause de la petite voiture fixée après. 

Pendant qu’on se dit qu’on devrait déposer nos araignées sur le monument « le plus gothique », un char arrive tranquillement dans le cimetière. Doune, qui est toujours super inquiet d’être interpelé par la police, dit que c’est à cause de notre présence. C’est sur, voyons. Pas moyen de visiter un cimetière de banlieue sans se faire arrêter par la police pour vagabondage ou je sais pas quoi. On rit, je dis qu’on a juste à dire « bin quoi, on promène nos araignées au cimetière, as-tu une meilleure idée de choses à faire un lundi soir à Varennes? », pis effectivement, un dude sort du char et se dirige lentement vers nous. 

Je décide alors d’avancer et je le salue. Tsé, drette le contraire de ce que feraient des BUMS? Le gars est relativement jeune, il a l’air d’un agent de sécurité, ou peut-être d’un employé de la ville, c’est dur à dire, j’ai pas trop examiné son uniforme. Il nous demande ce qu’on fait, de manière polie et pas pantoute autoritaire. « On se promène dans le cimetière. Est-ce qu’il est trop tard, on n’a pas le droit d’être ici? » Il dit « ah okay, nenon, ça ferme à 11 h [il est autour de 9 h]… c’est que je vous voyais passer d’une tombe à l’autre, pis c’est le soir… c’est sketch un peu… fait que je devais juste vérifier ». J’arrive pour dire okay on va s’en aller, mais en le disant dans ma tête ça me parait tellement niaiseux que je dis juste rien, sans bouger. C’est là que Doune ajoute « on check les araignées », pis je dis rien, je ris même pas. Ouf. Quelle situation weird.

Le gars ne semble pas avoir plus envie que nous d’avoir cette discussion. Je pense qu’il est là juste pour répondre à l’appel d’un·e citoyen·ne ou aux ordres d’un·e superviseur·e, c’est pas une tite police sur un power trip qui veut contrôler le monde. Mais c’est wack pareil. Pour tout le monde.

Pour moi, un cimetière c’est comme un parc, mais en nettement plus tranquille parce que les mort·es font pas des barbecues pis y’a personne qui risque de m’envoyer un frisbee par la tête. Mais je vais jamais dans un cimetière avec l’idée de m’énerver ou faire du trouble, je comprends la symbolique des lieux. Doune et moi on marche lentement, on parle à voix basse, on grimpe pas sur les pierres ou dans les arbres, on fait pas caca par terre, en fait on agit exactement comme deux personnes âgées qui visitent leurs époux·ses décédé·es, à l’exception qu’on promène nos araignées. Mais faire des affaires de même un soir de semaine en banlieue, c’est suspect. 

Doune avait pu trop envie de laisser nos araignées ici, parce que ça impliquait de laisser son pot dans un buisson vu que sa Steatoda sp. était en train de manger sa guêpe et qu’on voulait pas la déranger. J’ai proposé de la libérer sur mon balcon quand elle aurait fini son repas, entretemps ça me laisse du temps pour tenter de l’identifier. 

On a fait le tour du boulevard, on n’a vu aucun lapin, mais j’ai flatté un beau barbeau et en rentrant j’ai déposé sur mon balcon ma petite épeire aux gros pédipalpes.

À date, me faire interpeler au cimetière avec Doune pis nos araignées est mon plus beau souvenir de Varennes et il me reste encore trois semaines pour battre ça.

L’araignée de Doune. Peut-être Steatoda grossa.

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